Power couple avant l’heure, Simone Signoret et Yves Montand formèrent l'un des duos romantiques les plus politisés de la seconde moitié du XXe siècle.Sympathisants de la gauche de la gauche, ils faisaient partie des intellectuels et artistes qui portaient les idées communistes via les médias et leurs œuvres. Sans jamais avoir pris la carte du parti, ils militaient en étant des «compagnons de route» engagés et volontaires. Alors qu’une grande tournée dans les pays du Pacte de Varsovie est prévue pour l’année 1956, l’intervention brutale des Soviétiques à Budapest choque le chanteur et l’interroge. Doit-il quand même faire le voyage de Moscou et jouer devant Nikita Khrouchtchev ? Et en Hongrie, est-il judicieux d'y aller ? Ne ferait-il pas le jeu du pouvoir en passant sous silence les victimes de la répression ? Après de nombreuses discussions avec sa femme et ses amis, il décide quand même de se produire de l’autre côté du Rideau fer.
Derrière le rideau inaugure la collection Dyade, série d’albums se proposant de décrypter et de mettre en contexte des couples célèbres. Rencontre, psychologie, amour et glamour, l’idée est originale est engageante. Avant Jean Cocteau & Jean Marais, Albert Camus & Maria Casarès ou Patti Smith & Robert Mapplethorpe, Simone Signoret et Yves Montand ont l’honneur d’ouvrir le bal.
Outre d’innombrables numéros de Paris Match, biographies et documentaires, Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez ont pu largement puiser leur inspiration dans les rapports des Renseignements Généraux rendus public il y a quelques temps. Le scénariste a ainsi pu minutieusement reconstituer les semaines entourant ce tour de chants si contesté. Le résultat est impressionnant de précision, mais souffre d’une construction passablement chaotique, surtout au niveau de la chronologie. Brusques retours en arrière et surprenant changement de mois ou de saison, le fil des évènements devient parfois difficile à suivre. La situation est regrettable, car l’ambiance toute spéciale et les débats enflammés engendré par la Guerre froide sont, autrement, très bien rendus. La dynamique interne entretenue par les deux protagonistes principaux est également finement étudiée et retranscrite.
L’approche façon crayonné de Cavaillez est à relever. L’absence d’encrage et le choix du noir et blanc donnent aux planches une atmosphère surannée rappelant judicieusement les actualités filmées diffusées dans les cinémas à cette période. Personnages historiques globalement reconnaissables, découpage et mise en page solidement posés, le dessinateur tient bien sa barque, même si un peu plus d’audace, particulièrement dans les scènes de concert, aurait été la bienvenue pour souligner le charisme légendaire de l’interprète du Temps des cerises.
Excellent témoignage d’une époque révolue pas si lointaine, Derrière le rideau offre un intéressant voyage dans le passé. Dommage que celui-ci soit un peu gâché par une gestion déconcertantes de la temporalité.
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