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rance, 1933-1936. Depuis la crise de 1929, les Années folles sont bien finies et l’insouciance des lendemains de guerre a laissé la place aux rancœurs et aux fins de mois difficiles. Dans les campagnes, la misère n’est pas loin et beaucoup sont attirés par la ville et ses chimères. Plutôt que la vie de star, c’est l’usine et ses chaînes abrutissantes qui les attendent. Pour autant, le peuple n’a pas dit son dernier mot. À droite, les adeptes du fascisme se sentent pousser des ailes en entendant à la TSF la propagande nazie vanter les réussites du National-Socialisme. À gauche, les forces progressistes se mettent d’accord et imaginent un Front Populaire pour prendre le pouvoir. De la Bretagne rurale aux beaux salons parisiens, Sarah, Simon, Roger, Germaine, Louison et quelques autres vont devoir faire de leur mieux afin d’éviter les écueils des tourmentes qui s’annoncent…
Chantal Van Den Heuvel et Anne Teuf se lancent dans la fresque historique et sociale à grand déploiement avec La Belle Espérance. Emile Zola et Jules Romains ne sont pas loin alors que les autrices présentent méthodiquement la France de l’entre-deux-guerres et une distribution pléthorique. Psychologies riches et détaillées, rappels historiques à n’en plus que faire, emphase sur un féminisme naissant et innombrables points de rémanence avec l’époque actuelle, le scénario s’avère dense, complet et passablement touffu par moments. Résultat, malgré des protagonistes volontaires, les différentes intrigues peinent à démarrer et à se développer. De plus, le cadre général très rigide et ultra-balisé laisse peu d’espace à la spontanéité et empêche tout véritable suspens. À la place, le lecteur en sera quitte pour une étude de genre de qualité teintée de ce qu’il faut de mélo et d’envolées romanesques sans réelles surprises.
La Bretagne à la place de l’Alsace comme point de départ, ça ne change pas grand-chose et Anne Teuf prend à bras le corps cette saga chorale avec le même enthousiasme que pour Finnele. Trait tout fin, presque fragile, style direct sans chichi et mise en scène soignée, sa reconstitution se montre solide, autant dans la poussière des chemins de labour que sur les boulevards parisiens. Plutôt que d’imposer une bravoure graphique gratuite ou un réalisme photographique forcément trompeur, la dessinatrice a préféré mettre son art au service de la narration. Bien lui en a pris, pleines d’humanités et précises, ses planches respirent l’authenticité et le ressenti.
Classique, touchant, parfois téléphoné ou abusant de stéréotypes, Le temps des fruits verts entame La Belle Espérance avec un mélange de nostalgie et d’autorité. Espérons que les sombres prémices sur lesquelles ce premier tome s’achève ne seront pas synonymes de tragédie pour ces hommes et femmes de bonne volonté.
Bayonne. Décembre 1933.
L’affaire Stavisky éclate. Des milliers d’actionnaires sont ruinés. Ils ont été attirés dans les rais de l’escroc qui leur garantissait des rendements exceptionnels… Sale coup pour la France ! Déjà que la crise de 1929, venue des USA, avait frappé le monde entier… Le gouvernement tombe ! Un de plus !
Sale coup pour les juifs ! Stavisky était juif originaire d’Ukraine. Dans ces années ’30, le fascisme et le racisme progressent partout ! Mussolini en Italie (plus fasciste que raciste), Hitler en Allemagne…
Bretagne. Juillet 1934.
Roger est de retour de son pensionnat chez les jésuites. Sa maman, veuve, se tue à la tâche et se prive de tout pour payer les études de son fils, brillant étudiant qui rêve de devenir ingénieur… Et il en a les capacités ! Sa mère épargne sou après sou pour qu’il puisse, une fois qu’il aura passé son BAC, aller étudier à l’université.
Roger est heureux de revoir sa mère ! … Mais aussi sa cousine, Louison ! Ah, ce qu’ils s’aiment ces deux-là ! Elle, son rêve, c’est de devenir actrice. Une nouvelle Danielle Darieux…
Critique :
Au travers d’un récit qui suit deux jeunes gens amoureux qui vont devoir, de façon plus ou moins forcée, quitter la Bretagne, les auteures vont nous faire découvrir l’extraordinaire histoire du Front populaire.
Souvent, certains historiens se sont servis du Front populaire pour expliquer la débâcle de l’armée française au printemps 1940. L’intelligence des autrices, c’est de nous faire découvrir les incroyables mauvaises conditions de vie du petit peuple français, qu’il travaille en usine, dans une maison de haute couture parisienne, aux Galeries Lafayette, ou bien encore à la campagne, en bord de mer ou en mer. Pourtant, la vie de certains n’a rien à voir avec cet enfer des ventres vides et d’un chômage où vous n’avez plus aucune occasion de gagner le moindre franc pourtant bien indispensable pour vous nourrir, payer le loyer d’un logement plus que médiocre, vous vêtir ou vous soigner.
Chantal Van den Heuvel nous balade d’abord en Bretagne dans une histoire digne de Zola, avant la montée à Paris de deux jeunes gens très amoureux qui vont découvrir, pour l’un l’enfer de la vie en usine, pour l’autre le travail harassant d’une couturière au service d’un jeune et grand couturier.
L’immense pauvreté, les ventres vides, les terribles cadences dans les usines, vont conduire aux grèves, avec occupation des usines, puis à la victoire aux élections de 1936 de ce Front populaire où l’on retrouve les socialistes de Blum, élu Président du Conseil (premier ministre), les radicaux et les communistes de Maurice Thorez… aux ordres de Moscou ! L’entente entre socialistes et communistes ne va pas durer. Ce que Staline veut, le parti communiste le veut. Le parti est très puissant et peut s’appuyer sur une base solide prête à le suivre aveuglément.
Au passage, Chantal Van den Heuvel rappelle que les femmes n’avaient pas le droit de vote, mais que Blum « va mettre la charrue avant les bœufs » en en incluant dans son gouvernement aux postes de ministres ! Dans le gouvernement de Front populaire de Léon Blum en juin 1936, trois femmes ont été nommées ministres (ou « sous-secrétaires d'État ») alors qu'elles n'étaient, comme toutes les femmes de leur temps, ni électrices ni éligibles. Mais ne rêvez pas ! Elles ne prirent jamais la parole dans l’hémicycle… Et Léon Blum ne renouvela pas l’expérience lors de la mise sur pied de son second gouvernement.
Cette BD rend un hommage certain à Léon Blum, esthète intelligent, évoluant au milieu d’un champ de mines d’autant plus dangereux qu’il était juif.
Vivement la suite de ce roman graphique !
Cette BD va nous montrer la France du fameux Front Populaire en 1936 alors que des ligues fascistes ont marché sur l'Assemblée nationale dès 1934 suite à l'affaire Stavisky, un escroc d'origine russe qui a eu de nombreuses relations dans les milieux politiques mais également de la plolice, de la justice et de la presse.
La Nouvelle Union populaire écologique et sociale initiée en 2022 semble s'inspirer de ce mouvement dans la contestation des injustices qui ne font que s'aggraver dans notre société devant un capitalisme sans foi, ni loi. En 1935 déjà, il y avait 200 familles de multi-millionnaires qui tenaient la France face à des milliers de miséreux au chômage victime de la crise de 1929.
Le principe est de construire une fresque historique à travers le destin individuel de certains personnages comme Roger, ce jeune breton qui avait de si belles ambitions et qui se retrouve soudainement ouvrier dans l'usine Renault du fait de la mort brutal de sa mère, seul parent qui lui restait. Si seulement l'oncle cupide n'avait pas mis la main sur l'argent !
C'est intéressant de voir une BD qui s'interresse à ce mouvement qui a marqué une période de l'histoire française juste avant l'abominable Seconde Guerre Mondiale. Je me souviens de ces français se déplaçant en masse avec leurs familles dans les trains pour voir pour la première fois la mer.
J'avoue que j'ai eu un peu de mal avec ce dessin qui m'a paru assez approximatif dans l'approche avec un trait pas très maîtrisé. Mais bon, il faut bien faire ses armes et évoluer. Cela reste asse simple mais quand même soigné.
Cela se laisse lire très agréablement d'autant qu'on s'attache vraiment à notre couple qui quitte le giron familial malsain pour tenter l'aventure.