S
oupe primitive, légende colorée (à défaut d’être dorée), quête initiatique, fable politique, anthropologie et expérimentations formelles à gogo, tout ça dans un seul album ! Alex Chauvel a imaginé un extraordinaire microcosme avec Les Pigments Sauvages, une œuvre totale aussi tentaculaire qu’immersive. Une vingtaine de personnages d’importance, une série de révolutions de palais, un monde en constante évolution (au sens biologique), sans compter une mythologie bien vivante et revancharde, le tout s’étalant sur près de trois cents pages. Vous êtes un peu perdu ? C’est normal. Heureusement, un trombinoscope présentant les principaux acteurs est proposé en guise de préface, tandis qu’une carte des différents lieux visités a été ajoutée en annexe afin de ne pas perdre le nord.
Auteur de la nouvelle génération, Alex Chauvel fait partie de ces artistes qui, avec des Pierre Jeanneau ou Stanislas Moussé, ont été marqués par les productions de l’Association et de Lewis Trondheim en particulier. Vrai-faux révolutionnaires, ils mettent tous leurs talents au service du récit, quitte à casser une ou deux traditions en passant. L’objectif est de raconter des histoires, peu importe les styles graphiques ou les attentes. Si le dessin reste évidemment primordial, il n’est finalement qu’un des nombreux outils à disposition de la narration.
C’est exactement le cas dans Les Pigments Sauvages. Protagonistes ressemblant à des patatoïdes à pattes ou à cornes (suivant la race), décors minimalistes ultra-stylisés, jeu de couleurs intimement lié au scénario (cf. le titre) et mise en pages déconstruite à l’extrême, Chauvel a littéralement jeté à bas toutes les composantes du Neuvième Art pour ensuite les remonter en suivant sa seule fantaisie en guise de notice. Le résultat est tout bonnement explosif d’imagination et de maîtrise. Car oui, en dépit de ce traitement de choc, l’ouvrage reste parfaitement lisible, logique et follement amusant à parcourir, malgré sa longueur et la complexité de certaines situations.
Grosses bagarres, monstres sortis des âges, questionnements existentiels, moult gags et dialogues bien sentis, le tout sous la forme d’un habile détournement des dernières théories sur l’apparition de la vie, Les Pigments Sauvages est une passionnante saga digne des meilleures séries de fantasy du moment, doublée d’une impressionnante démonstration de haut niveau de la richesse narrative de la bande dessinée. À découvrir d’urgence.
Déception totale.
Le début de l'histoire est super, et de loin la partie la plus intéressante du livre. La civilisation lémure est sur le déclin, et les jeux de pouvoir apparaissent brièvement. L'humour est bon. Même le style graphique qu'emploie Chauvel pour signifier cette disparition est bien pensé. J'aime aussi le style quand nos trois amigos traversent les cavernes.
Mais pouf, tout ça, somme toute, passe trop rapidement, et Chauvel enfile son habit de prêtre et nous fait la morale pour le reste de l'album. Soyez gentils, arrêtez de vous entretuer, tout ce à quoi vous croyez est faux, arrêtez d'être pessimistes... et tout ce à quoi vous croyez est faux.
La quatrième de couverture nous le dit : "C'est compter sans la puissance des mythes fondateurs de toute société..." Et Chauvel nous le répète encore, et encore, et encore... ad nauseam. Au lieu de nous divertir en créant des intrigues et intrigants au sein de la société lémure, Chauvel préfère faire de la propagande idéologique.
Les trois petits êtres bleus anonymes? Ennuyeux! La société sauvage? Inutile! Naïa? Pétard mouillé! Pyrite, Topaze et Corail? Bâille! Seuls les personnages de l'ordre des lémures -- leur roi, leurs moines, leurs soldats, leurs aritoscrates -- sont intéressants... mais finalement, ils ne font que trop peu dans cette histoire. L'idée du mythe fondateur peut fonctionner si elle est subtile dans le contexte d'une histoire bien ficelée... mais quand elle représente plutôt un coup de massue sur la tête et que l'histoire devient secondaire... on s'en lasse.
J'ai retrouvé des éléments des "Murailles invisibles" dans cet album, qui m'avait donné espoir en Chauvel. J'ai perdu espoir. (Et non, M. Chauvel, l'histoire n'est pas complexe du tout.)