L
es éditions du Lézard noir enrichissent leur catalogue par l'un des titres les plus étonnants sortis en 2022 dans l'espace francophone.
Shit Chofu entraîne le lecteur dans un quartier situé à l'ouest de la mégalopole tokyoïte. Mais attention, il ne s'agit pas de visiter les beaux quartier ni de suivre une aventure de shonen quelconque, calibrée pour plaire à des ados en mal de repères et accros au merchandising. Au contraire, comme l'écrit le traducteur et adaptateur en quatrième de couverture : « Imagine un voisin à toi faisant une fête, tu vois défiler des invités avec des dégaines et des trognes pas possibles, ça braille, ça met de la musique bizarre, tout le monde a l’air défoncé à un cocktail de menace, d’humour noir et régressif, tu meurs d’envie de suivre toutes les conversations, mais tu n’es pas invité, alors tu restes sur le pas de la porte et tu te contentes des bribes qui te parviennent à travers l’œilleton. » Aurélien Estager a fourni un travail colossal pour coller à l'ambiance unique de ce one-shot.
À la fois foutraque et sans logique, C-town est un décor urbain rempli de cages d'escaliers, de rues et d'appartements. Un cadre presque normal pour un univers qui en sort. L'ambiance prend une tournure barrée, qui serait le résultat de la fornication de Yoshira Tsuge avec David Lynch et Robert Bresson. Ce titre est nettement plus intelligent qu'il n'y paraît à la première lecture qui peut décourager les habitués des mangas qualifiés de "commerciaux". Le titre fut remarqué dès sa sortie au Japon en 2017, où il a été prépublié par le site Torch des éditions Leed, connues pour proposer des mangas variés dans le style mais s'inscrivant tous dans la nouvelle vague indépendante. C'est le cas de l'excellent Tokyo Blues de Tokushige Kawakatsu ou bien de l'adaptation du roman de Marguerite Duras l’Amant par Kan Takahama.
L'auteur prend un malin plaisir à jouer, que cela soit avec la logique d'un scénario ou avec les nerfs de ceux qui suivent son histoire. Bien loin des archétypes du mangaka, Saito vit dans ce quartier qu'il connaît si bien depuis 1992, il est lucide et cynique. De ce fait, il livre une comédie grinçante, provocante et crade.
Son trait nerveux, parfois sauvage, ajoute une marque underground à ce manga. Des scènes sont proches du croquis, d'autres frôlent le réalisme. Le sentiment de déphasage est alors atteint, tant et si bien que des détails échappent à l’œil.
Le Gekiga n'est pas mort; avec des artistes comme Junichiro Saito, il lui reste de beaux jours devant lui. Un album à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui fera le bonheur des amateurs de titres alternatifs et bizarres.
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