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i-squatter, mi-artiste, mi-loser, Sam réside dans l’édifice Milton, un immeuble décati du quartier défavorisé de Utown. Si le coin sent la saleté et le désespoir, il est aussi habité par une vraie communauté collée serrée. Mis à part quelques tordus, tous les habitants s'entraident pour s’en sortir. C’est là qu’Edwin, un mineur en rupture, débarque un soir, l’adresse d’un vague parent à la main. Il est recueilli par Sam qui le prend rapidement sous son aile : «Tu vas voir, ici, malgré les apparences, on se marre bien.»
Portrait de ville, portraits d’humains et autoportrait à peine déguisé, Cab (Hiver nucléaire) a certainement mis énormément d’elle-même dans Utown. Mélange de récit chorale et de conte initiatique, le scénario fait la part belle à une distribution finement construite et décrite. Ils sont pour la plupart jeunes, un peu marginaux ou simplement différents de la majorité. En gros, ils se cherchent encore et redoutent par-dessus tout de joindre un monde dont ils ne partagent pas les valeurs. Évidemment, face à la réalité économique et sociale, ils sont considérés comme des rêveurs utopistes et surtout des gêneurs. Attention, piqués au vif dans leur territoire, leurs réactions pourraient devenir radicales. Cette classique histoire de choc des générations et de passage à l’âge adulte s’avère être très bien menée et mise en scène.
Calqué sur Montréal, le secteur d’Hochelaga spécifiquement, l'environnement décrit par l'autrice garde néanmoins un caractère générique. De Vancouver à Toronto, Paris ou Bruxelles, des bas-fonds, toutes les cités en ont. De plus, leurs dynamiques respectives se ressemblent ; les modes, le développement urbain, la gentrification et le sort réservé aux plus humbles sont à peu près les mêmes partout.
Façades lézardées, bars encrassés et bâtiments fatigués servent de cadre aux péripéties dérisoires et tellement cruciales de cette bande d’amis surnageant entre deux eaux. Il y a ceux qui y croient envers et contre tous. D’autres ont lâché l’affaire depuis longtemps et se retrouvent sur le carreau ou pire. Des nouveaux venus, les agents du changement ou les traîtres suivant les points de vue, arrivent avec des projets commerciaux. Novateurs ou opportunistes, ceux-ci sont immanquablement rejetés. En résumé, la roue tourne inlassablement et n’attend personne. Au milieu, Sam le rebelle sans cause et Edwin le candide égaré ont bien du mal à choisir la bonne direction pour leurs existences.
Sincère et passionné, Utown est une lecture pleine, sans fard et extrêmement incarnée (peut-être trop par moments). Évitant intelligemment les tentatives d’explications sociologiques, l’album propose un saisissant instantané d’un pan entier de la société souvent ignoré.
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