D
ans ce troisième tome de son Journal, Fabrice Neaud semble se répéter dans un premier temps. Sur ce volume de près de quatre cents pages, le début creuse le même sillon, relatant son quotidien morne entre précarité sociale et insécurité sentimentale. Le dessin reste précis, nourri de la rigueur de sa formation aux beaux-arts, mais toujours prêt à prendre la tangente, s'autorisant des effets inattendus, que ce soit dans le décalage entre le texte et l'image, rappelant le montage symbolique au cinéma, les métaphores visuelles ou les effets de sur ou sous-exposition qui malmènent la réalité pour mieux traduire les sensations du narrateur.
La forme continue de séduire, mais le fond devient lassant. Encore une fois, il se désespère d'amour pour quelqu'un qui n'en a rien à faire. Il souffre. Il est dans la dèche.
Puis, c'est le choc.
L'agression dont il est victime le laisse traumatisé.
Et, d'un coup, c'est toute la première partie qui prend une autre dimension.
L'homophobie "extraordinaire" dont il a été victime met en lumière celle, plus ordinaire, qu'il subit au quotidien. Cette mise à l'écart induite par sa sexualité devient flagrante. Le manque de soutien, la manière dont les atres lui font sentir qu'il en fait trop... ou pas assez le blesse. L'ignorance ou l'indifférence de ses proches le frappe en pleine face.
En 1994, l'homosexualité n'est dépénalisée que depuis treize ans. Pour certains, cela signifie que tout est réglé et que les gays vivent désormais heureux et au grand jour. La réalité est tout autre.
C'est cette violence qui occupe l'essentiel de ce tome. Non pas celle, spectaculaire, des attaques qui peuvent aller jusqu'au lynchage, mais celle, plus silencieuse, du regard qui se détourne, de l'exclusion, de la gêne, du relativisme qui nie le trauma individuel. En quelques lignes, et ce dès la fin des années nonante, lors de la publication initiale, l'auteur anticipait déjà la dilution du récit individuel, noyé dans la multiplication des témoignages sur internet, avant même l'explosion des réseaux sociaux. Une victime n'est plus une personne, mais une goutte de plus dans un océan de faits. Son récit n'apporte rien de neuf. Il paraît même d'une banalité affligeante, parce que beaucoup d'autres l'ont précédé, que des faits bien pires ont été rapportés auparavant. Ce qui lui est arrivé n'est pas inédit, banalisant sa souffrance comme un bruit blanc qui perturbe à peine le silence.
La force du sujet est indéniable, et ce que relate l'auteur reste d'une triste actualité. Tout ce qu'il a vécu à l'époque, les victimes de crimes de haine en général, qu'ils soient lié au genre, à l'orientation sexuelle, à l'origine ou aux convictions personnelles, le rencontrent encore aujourd'hui. La piqûre de rappel est terrible.
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