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eptembre 2011, Japon. Journaliste, Takeshi a été chargé d’un reportage sur les dernières «Ama», ces femmes pêcheurs qui plongent en apnée pour remonter poissons et crustacés si convoités par les gastronomes nippons. Le voilà dans le train avec un assistant en direction de Wagu, un petit village côtier de l’île d’Honshū. Une fois arrivé et installé, il découvre une communauté hors du temps, mais pas déconnectée de la réalité. Tradition, légendes, dangers et fin d’une époque, le quotidien de ces travailleuses de la mer vont lui fournir tous les éléments pour un excellent article. Attention néanmoins, derrière la bonhommie et la beauté de ces coutumes pourraient bien se cacher quelques secrets ou monstres des profondeurs…
Un cadre géographique extraordinaire, une thématique ouverte à tous les développements, sans parler d’une distribution haute en couleur et immédiatement sympathique, Dérives possède sur le papier toute la complexité nécessaire à un roman graphique riche et passionnant. Dans les faits, le résultat se montre plus mesuré. Si Alexis Bacci réussit à raconter la réalité des Ama avec un talent certain, l’intégration de cette culture au sein d’une narration plus globale s’avère moins convaincante. L’ancrage dans le temps (pourquoi démarrer l’album spécifiquement le 11 septembre 2011, si c’est pour ne plus mentionner ou rappeler cette date par la suite ?), un personnage principal peu ou mal défini (Takeshi ne restera qu’une ébauche jusqu’à la fin) et un acolyte anecdotique seulement utile pour une scène nocturne aussi érotique qu’une palourde de l'avant-veille et un ressort historique téléphoné et déjà vu, l’auteur semble ne pas avoir su choisir entre fiction intimiste, BD documentaire et fable historico-légendaire. Il en résulte une espèce de flou dramatique – peut-être voulu – où le lecteur à bien de la peine à comprendre les motivations d’un héros guère empathique et cela malgré les nombreux efforts pour le présenter sous son meilleur profil.
Graphiquement, là aussi le dessinateur alterne entre le chaud et le froid. Découpage et mise en scène très imaginatifs, audacieux même par moments, jeu savant avec des couleurs qui embrassent tant la temporalité que les émotions des protagonistes, mais également un trait parfois maladroit et quelques tentatives peu gracieuses pour coller à l’esthétique japonaise font qu'à l’image du scénario, l’ouvrage manque de cohésion et de rigueur sur la longueur. En résumé, tant sur le fond que sur la forme, Dérives ressemble plus à un premier jet, certes rempli de qualités, qu’à un récit abouti et totalement maîtrisé.
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