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Celle qui parle

22/04/2022 9768 visiteurs 8.0/10 (3 notes)

P erchées dans des arbres, des femmes attendent. Elles guettent le départ des Mexicas venus pour prélever leur habituel tribut sur la récolte et capturer de futurs sacrifiés. Parmi les villageoises cachées, Malinalli ne se rappelle que trop bien le dernier passage de ces puissants voisins qui ont asservi Oluta et de leurs mots menaçants. Cependant, le danger va venir d’ailleurs. Une nuit, l’adolescente est enlevée, réduite en esclavage, puis vendue à un chef maya. Terrorisée, elle doit affronter un autre peuple et tenter de survivre, en commençant par apprendre l’idiome de ses nouveaux maîtres. Huit ans plus tard, les capacités de la jeune fille l’aideront à affronter un danger surgi d’au-delà des mers : des hommes blancs carapaçonnés de métal et s’exprimant dans un langage inconnu : l’espagnol.

Elle parle. Elle… Malinalli. Ou Malintzin, Malinche, Marina, selon les langues des peuples qu’elle a côtoyés, à l’aube du XVIe siècle. Figure de la conquête du Mexique, elle a officié comme interprète et joué un rôle essentiel dans la rencontre de deux mondes qui s’ignoraient auparavant. Alors que Gonzalo Suárez et Pablo Auladell en ont livré une approche aussi intense qu’onirique dans Le Rêve de Malinche, paru il y a quelques mois aux éditions de la Cerise, Bamboo vient d’éditer, dans sa collection Grand Angle, l’épais album qu’Alicia Jaraba Abellán (Les détectives du surnaturel, L’Onde Dolto) consacre à cette femme.

L’artiste ibérique s’attache aux pas de son héroïne, en adoptant ce qui aurait pu être son point de vue et ses motivations. Son récit débute par une scène située quelque part à l’orée d’une forêt luxuriante en 1519, pour ensuite repartir en arrière, en 1511, avant de dérouler les péripéties qui ont conduit Malinalli jusqu’à sa rencontre avec Hernán Cortés. Pour aborder cette histoire, l’autrice choisit d’axer son propos sur ce qui caractérise la principale protagoniste : ses connaissances linguistiques, du dialecte popoluca (sa langue maternelle) au castillan, en passant par le náhuatl et le chontal. Un savoir qui devient, en pratique, un véritable moyen de survie. Avec intelligence, l’autrice dévoile les apprentissages successifs de la jeune Amérindienne et son parcours semé d’obstacles et de doutes. Elle dépeint une personnalité à la fois attachante, imprégnée d’une forte volonté, mais aussi marquée par ce qu’elle vit ou subit dans un contexte historique et régional aussi riche que complexe. À ce sujet, Alicia Jaraba Abellán parvient à bien restituer tant la mainmise des Mexicas (les Aztèques), la crainte que ceux-ci suscitent, les relations inter-tribales que certaines pratiques culturelles et sociétales. L’arrivée des conquistadors espagnols et son impact sur les populations locales sont également mis en lumière judicieusement, ainsi que les premières récriminations autochtones contre celle qui a pu être vue comme une traîtresse.

Par ailleurs, la bande dessinée se pare d’accents féministes en soulignant les amitiés développées par Malinalli avec ses consœurs et en montrant sans fard les abus dont celles-ci sont les cibles. Il est dommage que cela vire à la leçon sur le consentement – surtout au regard de l’époque -, toutefois, l’intention reste honorable et d’actualité. Cela est d’autant plus vrai que l’autrice ne prétend pas faire œuvre d’historienne et s’octroie donc quelques libertés en intégrant des éléments fictifs et romancés. Le développement des interactions entre femmes donne, à cet égard, de la matière à l’intrigue qui s’en trouve renforcée. Le ton teinté d’humour apporte une large bouffée d’oxygène, en désamorçant la noirceur de certains passages tragiques.

Graphiquement, le style de la dessinatrice se démarque par un trait léger, semi-réaliste, qui croque visages, allures et expressions. Malgré le grand nombre de comédiens, tous sont typés de sorte à les reconnaître aisément, en accentuant l’un ou l’autre détail. Le découpage est soigné, dynamique et les cadrages offrent un panel varié. Quelques vignettes, généralement en longueur servent à planter le décor et l’ambiance. Les couleurs viennent agréablement soutenir l’ensemble. De plus, le challenge de représenter la fonction d’interprète a été pleinement relevé par l’artiste : la langue inconnue est un gribouillis absorbé au fil de l'apprentissage et la traduction qu'officie Malinalli se fait par le truchement de bulles superposées. Enfin, pour ne pas perdre le lecteur, chaque chapitre comporte une carte montrant précisément où se déroule l'action, ce qui permet de se faire une bonne idée des allers et venues de l'héroïne.

Doté d'un scénario maîtrisé et d'un dessin qualitatif, Celle qui parle se révèle une lecture des plus plaisantes, en offrant une vision pleine de vie de la fameuse Malinche.

Lire la preview.

Par M. Natali

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Moyenne des chroniqueurs
8.0

Informations sur l'album

Celle qui parle

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Note: 4.3/5 (39 votes)

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L'avis des visiteurs

    ArvoBlack Le 13/08/2024 à 22:43:50

    "Celle qui parle" se situe au cœur du Mexique des année 1500 et la conquête du territoire par les conquistadors espagnols. De manière universelle, la bande dessinée montre les différences de culture entre les ethnies, les barrières de la langue et leurs importances dans la communication, les différences entre les croyances (religieuse ou non), la sexualité, etc. L'histoire qui suit l’héroïne, Malinalli est dure : esclavage, viol, meurtre, mais adoucit par les dessins de Alicia Jaraba, qui au-delà d'un découpage dynamique et d'un trait agréable, sait nous tenir en haleine pendant toute la durée du roman graphique. Le dessin concentre l'essentiel, peu de détails sur les plans larges, belle expressivité sur les plans rapprochés, des personnages découlent de belles personnalités, ils en deviennent vraiment attachants. C'est efficace, le rythme est cadencé ; en somme une excellente bande dessinée.

    Quelques bémols tout de même, Malinalli manque parfois d'un peu plus de charisme. Même si c'est volontaire, j'ai l'impression parfois de rester en face de la jeune fille qu'elle était un début de l’œuvre, frêle et indécise. Deuxièmement, les choses se précipite trop vite sur la dernière partie et montre un épilogue très court qui me laisse un peu sur ma faim, même si la conclusion est bonne. Troisièmement, la colorisation pourrait être un peu plus poussée vers des tons plus lumineux sur certaines planches.

    Un très bon roman graphique historique qui mérite lecture, ainsi que suivre les futurs sorties de l'auteur : Alicia Jaraba.

    Jozef Le 06/11/2023 à 19:57:24

    Coup de coeur !
    J'ai attaqué la lecture et finalement lu d'une traite cet album (plus de 200 pages quand même !). Une oeuvre vraiment touchante (j'avoue, j'ai versé quelques larmes).
    J'ai été ému en m'immergeant dans cette histoire de déracinement, de rencontres entre les peuples, de cruauté, d'amour... Simple et bien mené avec un dessin expressif tantôt amusant tantôt émouvant.
    On sent l'implication totale de l'auteure.
    Bravo

    BudGuy Le 30/10/2022 à 18:58:17

    Celle qui parle ou le destin de la Malinche, l'indienne qui aida Cortes et ses hommes à s'emparer de l'Empire aztèque. Ici il sera plus question de dresser le portrait d'une jeune femme, fille d'un cacique, vendue comme esclave et qui sera amenée à utiliser ses capacités linguistiques pour s'en sortir.

    Longtemps considérée comme une traitresse, la Malinche est devenue un symbole féministe dans les années 60, au vu de son combat contre sa condition de femme soumise. Elle est ici présentée avec intelligence et nuance, même si des passages ont été romancés ou allégés puisqu'au final nous ne savons peu de choses sur elle.

    Je salue tout le travail effectué par l'auteure (scénariste, dessinatrice, coloriste, traductrice) même si les décors de certaines cases laissent parfois à désirer.

    HoutchyPoutchy Le 11/10/2022 à 17:01:20

    4/5 Bon album, une 1ere lecture rapide, qui mérite une relecture.
    Un sujet intéressant, bien traité, avec une montée en puissance de l'héroïne en même temps que des enjeux.
    Très appréciable que l'intérêt de la Malinche (l’héroïne) soit sa capacité à apprendre des langues et à traduire. Comme quoi de très grandes choses peuvent être réalisées sans force, argent ou super pouvoir.

    MathMo Le 18/08/2022 à 14:37:48

    L'histoire de la Malinche qui servit de traductrice a Hernan Cortes dans sa conquête du Mexique, un bon récit historique bien construit et crédible au début, mais un peu too much dans sa tentative de réhabilitation (surtout lorsque l'on nous fait croire que la Malinche reste avec Cortés malgré ses exactions sur les populations indigènes pour influer sur lui et "limiter les dégâts" c'est vraiment peu crédible) , et de plus la fin du récit de sa vie me parait abrégée subitement par rapport au développement du début…

    Yovo Le 04/08/2022 à 13:00:31

    J’ai trouvé « Celle qui parle » particulièrement agréable à lire.
    Il faut dire que j’adore ce dessin parfaitement lisible et centré sur les humains. Alicia Jaraba ne s’appuie que sur quelques détails pour personnaliser ses protagonistes, ce qui permet de tous les différencier au premier coup d’œil sans charger les cases.
    L’autrice se sert aussi de tout un tas de mimiques pour animer les scènes en rendant les personnages hyper expressifs et très attachants. Comme les nombreux gros plans sur le regard de Malinalli par exemple : l’effet d’exagération produit est percutant et révèle en quelques traits la profondeur de l’héroïne et son état d’esprit.
    De manière générale la dessinatrice use d’une grande liberté dans son style, notamment quand il s’aventure vers la caricature. Cela rend le ton bienveillant et résolument optimiste. Certaines scènes en deviennent quasiment comiques et contribuent au plaisir d’une lecture vivante et légèrement décalée, en l’éloignant judicieusement d’une stricte biographie.

    Enfin, la mise en couleur est également superbe. Des teintes subtiles et lumineuses qui restituent l’exotisme du paysage et définissent chaque ambiance. Que ce soit sous le soleil, la pluie, de nuit, en intérieur, l’atmosphère est prenante et s’impose constamment comme un élément narratif.

    En ne laissant ainsi transparaitre que l’essentiel, le travail graphique d’Alicia Jaraba est un modèle de clarté, d'efficacité et de fluidité.

    Le scenario est en pleine cohérence avec les illustrations. Privilégiant la légende, il ne prétend jamais être rigoureusement historique mais suit une chronologie des moments marquants qui firent basculer le destin de celle appelée "La Malinche".
    C’est écrit avec épure et honnêteté intellectuelle. Plutôt que de renter dans les controverses qui entourent le personnage, l’autrice évitent tous les écueils en ne se concentrant que sur ce qui est réellement important et justifie l’album : la place déterminante du langage et l’ambiguïté du rôle-clé qu’a joué la Malinche, bien malgré elle, auprès de Cortès. Si Alicia Jaraba prend forcément parti pour son héroïne, déchirée, déracinée, seule face à des responsabilités écrasantes, elle ne juge personne. La situation intenable dans laquelle est placée Malinalli et le simple fait qu’elle y survive suffit à faire d’elle une femme certes extraordinaire mais qui surtout, emportée par le tourbillon de l’histoire en marche, ne se dépare jamais de ses valeurs et son humanité.

    Pour toutes ces raisons « Celle qui parle » est donc un album qui a du sens, riche, beau et pleinement abouti. Même si cette (fausse) simplicité - un peu à l'image de "Peau d'homme" ou "Géante" il y a quelque temps - pourrait décevoir certains lecteurs avides de grand spectacle.

    Une belle réussite en tout cas, bien éditée par Bamboo, bravo !
    4,5/5

    gavo Le 01/06/2022 à 15:35:01

    une bonne histoire ne fait pas une bonne bd
    le dessin est plus que moyen avec un traitement minimaliste des arrière plans ce qui est particulièrement pénible .
    mais je crains que cela ne soit la mode
    vite fait mal fait......

    Erik67 Le 25/03/2022 à 10:33:45

    La Malinche est une figure assez controversée de l'histoire du Mexique car elle a collaboré avec l'ennemi conquistador contre son peuple. Voici une œuvre qui nous livre une autre version un peu plus poussée sur les raisons qui l'ont motivé à faire ces choix parfois lourd de conséquences. A noter qu'elle assuma parfaitement son rôle.

    En effet, Doña Marina, est une Indienne qui a aidé le conquistador espagnol Hernán Cortès à défaire l'Empire aztèque en conquérant le Mexique et sa capitale Tenochtitlan. Elle lui a servi de traductrice, mais également de conseillère en diplomatie locale. D'autres disent qu'elle a également servi de maîtresse à Cortès qui fut séduit par son charme et par son caractère. Elle lui a fait un fils.

    On se rend compte que les indiens étaient très divisés et souvent assez sanguinaires avec d’énormes sacrifices pour satisfaire leurs dieux. On est loin de l'image pieuse qu'on peut se faire des indiens. La civilisation aztèque n'a pas fait dans la dentelle. Cependant, cela n'excuse en rien la colonisation espagnole. Le rôle de la Malinche aurait donc été primordial dans le succès de la conquête du Mexique. On y croise une mosaïque de peuples en conflit et un conquistador qui a mis à profit ces différents pour conquérir cet empire au nom de la couronne espagnole.

    J'ai bien aimé cette démarche de l'auteure qui nous offre un autre éclairage tout à fait pertinent par rapport à ce personnage controversé qui fut accusé de traîtrise. J'avoue que je l'ai bien aimé cette belle et intelligente Malinche qui a su dire non et s'imposer dans un monde très dur. Il faut savoir qu'elle était qu'une esclave qui fut offerte aux espagnols par le peuple Maya à leur arrivée. En dépit d’être une esclave, elle a été traitée mieux que les autres filles esclaves en raison de sa beauté et de son intellect supérieur à la moyenne.

    La Malinche s’est vite révélée très utile à Cortés, car elle a pu l’aider à interpréter le nahuatl, la langue du puissant Empire aztèque. Cette œuvre est justement basée sur les mécanismes du langage. Il y a manifestement un fort accent que l’auteure a mis sur cet aspect assez intéressant. Cela m'a fait penser au film « Premier contact » de Denis Villeneuve où il s'agit de contacter une linguiste recrutée par l'armée pour établir le contact et connaître leurs objectifs.

    J'avais lu par le passé son histoire un peu romancée dans la série de Jean-Yves Mitton à savoir « Quetzalcóatl ». A travers le destin exceptionnel de cette jeune Aztèque, c'est toute la période de la colonisation du Mexique qui est dépeinte. Elle a également été source de respect et d’admiration, et des mouvements féministes des années 1960 au Mexique se sont inspirés de cette figure historique.

    Un mot sur le dessin pour dire qu'il est excellent ! C'est un dessin avec de magnifiques couleurs, de belles planches chaudes et pleines de vie et personnalité, où le soin est apporté tant à l'expressivité des personnages qu'au soucis du détail et des décors. Rien que pour son aspect visuel, cette BD est un coup de cœur et donne véritablement envie de se plonger dedans.

    J'ai aimé la densité de ce récit où il se passe beaucoup de choses. L'histoire est d'ailleurs racontée avec une grande maîtrise. J'ai grandement apprécié également l'originalité de la démarche de l'auteure. Cette BD est une manière motivante de découvrir le parcours d'une femme exceptionnelle. C'est réellement un très bel ouvrage biographique qui rend un superbe hommage à cette figure de l'histoire du Nouveau Monde.