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aul Rivest est de retour à Melvile. Suite au décès de sa grand-mère, et pour soulager sa mère, c'est lui qui vient s'occuper des affaires liées à l'héritage. Rien de bien méchant, juste débarrasser la maison où il passait ses étés, plus jeune. Mais à Melvile, rien n'est jamais simple et les souvenirs de Paul remontent vite à la surface. Notamment ceux de l'été 1987, avec ses amis Ruth et Thomas, juste avant le grand incendie...
99 mois et 724 planches, c'est ce qui sépare la parution de L'histoire de Samuel Beauclair de ce troisième opus. En ajoutant les 236 des Chroniques de Melville, sorties concomitamment, ce sont près de 1000 pages de narration que Romain Renard aura servi à ses fans pour ce qui restera, pour un long moment, son œuvre centrale. Que ce soit dans le dessin, évidemment, mais aussi et surtout en terme d'ambiance, l'auteur a fait fort. À mesure que la pagination de ses histoires augmentait, la tension et l'amplitude de chacune d'entre elles croissaient également.
Si pour ce nouvel opus l'artiste invite à suivre un nouveau protagoniste, le cadre, lui, est désormais bien connu. Personnage central, la petite ville continue de dévoiler ses mystères ou tout du moins quelques uns d'entre eux. Dans ce théâtre, le retour de Paul Rivest va le replonger au cœur d'un été particulier pour lui. Sur les terres de ses vacances estivales, ses souvenirs viennent embrumer les raisons de sa présence. Jouant à plein sur les deux lignes temporelles, Romain Renard prend un malin plaisir à enrichir l'histoire familiale des habitants de Melvile. D'un côté la romance avec Ruth, l'éveil à la sexualité, plein de pudeur comme toujours, de l'autre, le secret de la grand-mère. Certains personnages sont présents aux deux époques, d'autres renvoient aux albums précédents. Devant ce puzzle géant qui prend forme autour de l'incendie de 1987, le public connaisseur ne peut être qu'admiratif tandis que le néophyte se retrouve happé.
Toujours à la limite du fantastique, l'intrigue gagne en intensité et en suspense au fur et à mesure que les révélations s'enchaînent. Sans forcément livrer un thriller dont la trame sort des sentiers battus, l'auteur parvient à installer des atmosphères marquantes. Grace a un très beau travail sur les textures et les matières, notamment sur ses décors et les paysages en forêt, chaque séquence marque et appuie les sensations. Sa gestion et sa maîtrise de la lumière y sont aussi pour beaucoup et rendent la lecture totalement immersive tout au long de l'album, à tel point qu'à l'issue des quasi 400 planches, l'envie de déguster les bonus ou de se ruer sur les Chroniques est forte. Du grand art en somme !
L'histoire de Ruth Jacob est assurément une réussite. Plus long, plus dense, plus prenant que les précédents opus, il est certainement aussi le plus émouvant. Un album qui couronne une série atypique et fait regretter que d'autres volumes ne soient pas (pour l'instant ?) annoncés.
Lire la preview du tome 3.
Mais aussi celle du tome 2, L'histoire de Saul Miller et des Chroniques de Melvile
Lire la chronique du tome 1 et celle du tome 2.
J’avais lu ce 3ème opus de Melvile sans connaitre les deux premiers tomes. Je réévalue donc à la hausse mon appréciation et ma note car je n’avais pas pu saisir toute l’ambition, la complexité et la maitrise de ces histoires parallèles. Au regard de la série entière, « L’histoire de Ruth Jacob » vaut ses 5 étoiles tant le travail de Romain Renard est exceptionnel.
Il a créé un univers unique, à la fois réaliste et fantastique, tentaculaire et intimiste, peuplé de personnages authentiques et touchants qui s’entrecroisent sans le savoir. A travers eux, son récit convoque la mémoire, la culpabilité, les non-dits, des sentiments troubles qui résonnent en chacun de nous et dont nous nous accommodons tous à notre façon.
La bourgade de Melvile elle-même semble agir sur les humains – comme la planète Solaris dans les films du même nom – et les pousse à se révéler malgré eux. Mus par cette force inconnue, prisonniers de leurs passés et d’un destin qui ne leur appartient pas, leurs vies se mettent un jour à vaciller et un détail les fait basculer unes à unes vers la vérité. C’est poignant.
En tout cas je n’ai jamais lu d’équivalent jusqu’à présent de ce qu’a réalisé Romain Renard avec « Melvile ». Bravo !
Dessin par un des grands de la BD de notre époque, c'est clairement un livre à posséder et à lire sans attendre.
Tous les bédéphiles font la même expérience : malgré notre vigilance, des BD majeures arrivent toujours à passer sous nos radars sans qu’on ne comprenne ni comment ni pourquoi. On a beau se tenir au courant, consulter des sites spécialisés, magazines ou librairies, rien n’y fait, on loupe quand même le coche… C’est le cas de « Melvile » en ce qui me concerne. Une série apparemment bien connue depuis des années et encensée par la critique, dont j’ignorais complètement l’existence.
Mais il n’est jamais trop tard ! D’autant que « L’histoire de Ruth Jacob » peut se lire en one shot.
J’ai vraiment accroché à cet épais album qui rappelle d’autres excellentes références mais possède une identité bien à lui. L’écriture est un modèle d’équilibre entre fluidité et complexité narrative, drame intimiste et thriller poisseux.
La partie graphique est d’une beauté pénétrante. Le style cinématographique renforce la précision et le réalisme de l’univers imaginé par Romain Renard et immerge le lecteur dans une ambiance quasi fantastique, parfois solaire, parfois flippante, mais toujours envoûtante.
Réunir à la fois un dessin d’une telle maestria et un scenario aussi riche est très rare de la part d’un seul auteur. Très peu en sont capables et cela force le respect. « Melvile » est une œuvre franchement impressionnante.
Je vais de ce pas me procurer les deux premiers tomes pour me replonger dans cette atmosphère à l'esthétique mystérieuse, magnétique et fatale.