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Res Publica Res Publica : Cinq ans de résistance : 2017-2021

28/03/2022 3857 visiteurs 9.0/10 (2 notes)

I l est possible de prêter à l'image, et dans son sillage la bande dessinée, une vocation - pour ne pas dire une mission - à mettre en scène et au besoin dénoncer la chose et surtout les dérives politiques. C'est d'autant plus vrai à une époque où les détournements et les fake news nourrissent des médias mainstream et les réseaux sociaux, alimentant au passages des théories complotistes farfelues et dangereuses. Alors, quand le neuvième Art cherche à combattre cette tendance, nageant à contre-courant, cela donne Res Publica.

Derrière un titre académique, le propos se veut percutant, pour pointer du doigt le basculement de la France dans le néolibéralisme et ses conséquences sociales durant le mandat du président Macron, Le résumé en quatrième de couverture commence par une citation du révolutionnaire socialiste Auguste Blanqui : "Qui a du fer a du pain." Choisir une maxime d'un des fondateurs de l'extrême-gauche française (selon l'historien Michel Winock) donne le ton, par ailleurs totalement assumé par les deux auteurs.

Cependant, il est erroné de voir dans ce titre une caricaturale attaque gauchiste contre un gouvernement. Au contraire, David Chauvel propose une analyse détaillée et référencée du projet macronien, divisée en treize actes chronologiques. Le terme "acte" n'est pas choisi au hasard, il s'agit d'une double allusion,
aux actions des gilets jaunes mais aussi au côté théâtral dont se pare le président de la République.

D'ailleurs, c'est de cette manière que commence la présentation du personnage, de son parcours jusqu'à son arrivée au pouvoir, jalonnée de nombreux ralliements jusqu'à la constitution de sa cour. Ensuite, chaque chapitre met l'accent sur la manière dont s'installe le fameux "notre projet" (tant martelé lors de la campagne électorale) et s'organise la lutte sociale qui l'accompagne. Le tout est étayé par des propos pris dans différents médias comme médiapart, Brut, Blast, France Culture. Chaque intervenant est dessiné et remis en contexte, ce qui facilite une lecture critique et évite la platitude d'une simple chronologie des faits. En fin d'ouvrage, les curieux pourront si nécessaire découvrir toutes les sources utilisées.

Le ton "investigation" est adapté à la densité de l'exposé et sert une forme de tension qui va croissant, La dimension didactique n'est pas oubliée. Ainsi, le scénariste reprend un titre de Libération qui s'interroge pour savoir si la politique actuelle est bien néolibérale. Pour y répondre, s'ensuit une explication sur plusieurs planches de ce qu'est le libéralisme puis la naissance de la version néo et les différences entre les deux. Et cet exemple n'est pas le seul, La rhétorique est également étudiée, l'art de la petite phrase empreinte de mépris pour les détracteurs - ou du parler vrai pour les partisans - si fréquemment utilisée qu'elle est devenue la norme discursive. Ce souci de la précision vaut aussi pour la présentation de plusieurs personnalités gravitant dans ou autour du gouvernement tels Messieurs Lallement ou Benalla.

Transition toute trouvée pour évoquer les violences policières qui sont traitées dans ce tableau graphique du quinquennat. Les auteurs ont réussi à éviter le manichéisme fortement présent dans les médias ou sur les sites gauchistes. Ils commencent par les expliquer du côtés des manifestants, faits établis à l'appui, égratignant au passage les médias de masse. Puis, ils les évoquent du côté des forces de l'Ordre, là encore à partir de témoignages et d'actes avérés. La police et la gendarmerie y sont montrées comme victimes elles aussi de la situation sociale (mépris, course à la statistique, manque de moyens...). Comme les autres services publics, la sécurité est dégradée aux dires des auteurs. Le réquisitoire n'est pas exhaustif, le sort de l'éducation nationale demeurant aux abonnés absent, mais Chauvel et Kerfriden disposent d'assez de matière pour livrer un bilan sordide, teinté de violence, pour décrire ce qui est advenu de la société française à la suite l'installation d'une politique néolibérale qui ravirait Milton Friedman.

Graphiquement, Kerfriden opte pour un trait réaliste, dans la veine de la bande dessinée d'investigation, privilégiant la précision pour les visages des différents intervenants. Les trouvailles visuelles pour casser le rythme du récit et le système du gaufrier sont intéressantes . Le tempo est confié aux gilets jaunes, invités entre les actes. Les pleines pages sans cases permettent de nombreuses d'explications dans les bulles. La couleur jaune et le noir dominent l'album de bout en bout, y compris dans sa couverture avec le bandeau noir de l'éditeur qui ressemble à s'y méprendre à un bandeau de deuil.

Que reste-t-il de "la chose publique" ? Ce roman graphique d'utilité publique, aux accents pédagogique et citoyen dresse avec intelligence un bilan de la France actuelle. Il doit y avoir une place pour l'accueillir dans toutes les bibliothèques.

Par J. Vergeraud
Moyenne des chroniqueurs
9.0

Informations sur l'album

Res Publica
Res Publica : Cinq ans de résistance : 2017-2021

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    Erik67 Le 29/04/2022 à 07:55:35

    J'aimerais le préciser d'emblée, je n'ai pas jugé la BD parce qu'elle critique sérieusement l'action et la personne de Macron qui vient tout de même d'être réélu Président de la République. J’essaye d'être neutre politiquement et de voir comment cela est construit dans son argumentation à la manière d'un documentaire qui ne laissera rien passer.

    Et sur ce plan, je dois reconnaître un véritable travail de journaliste qui relève des faits accablants. Parfois, l'analyse ne me convainc pas comme quand on dit que c'est un président « minoritaire » qui a été élu avec 66% des suffrages exprimés soit 20 millions de voix alors que personne n'empêche les gens d'aller voter entre abstentionnisme et bulletins blancs. Pour moi, le vote devrait être obligatoire alors que dans certains pays, des dictateurs sont en place et qu'on ne peut rien faire pour les déloger à moins de se faire exécuter. La démocratie est comme si c'était réservé à des enfants trop gâtés.

    D'autres fois, je dois dire que c'était plutôt convaincant alors que j'ignorais certaines choses qui se sont passées. Je ne savais pas par exemple que plus d'un tiers des ministres étaient millionnaires. Je n'ai rien contre les riches mais ils ne comprennent pas très souvent les gens qui galèrent vraiment dans ce pays en gagnant un misérable salaire alors qu'ils cravachent vraiment. Il y a un fossé qui se creuse de plus en plus pouvant mener à une révolte car la colère gronde. Renforcer l’intérêt de l’entreprise au dépend des intérêts du salarié n'est sans doute pas très souhaitable.

    Le néolibéralisme n'a pas que des adeptes. Ce sont 5 années de guerre sociale qui nous sont contés de manière assez objective mais sans une charge en règle. Parce que c'est notre projet et qu'il n'est pas encore terminé (la retraite à 65 ans). On se demande véritablement dans quel état sera notre pays dans 5 ans alors qu'on a réélu celui qui est surnommé le président des riches (et même des ultra-riches selon un certain Hollande) avec une arrogance assumée.

    C'est une lecture quand même assez dense mais qui peut être utile pour se remettre les idées en place. J'aime bien les auteurs engagés même si je ne partage pas toutes les idées à partir du moment où il y a le respect et l'argumentation et non un pamphlet dirigiste. J'ai aimé la rigueur et les chiffres annoncés et vérifiables avec une analyse intelligente. C'est du très bon travail objectivement parlant d'où ma notation. A lire pour savoir ce qui nous attend...

    Blue boy Le 26/04/2022 à 23:46:20

    Scénariste prolifique plus habitué aux séries populaires au long cours, dont la dernière en date est l’époustouflant « Les 5 Terres », David Chauvel tente une incursion dans la BD documentaire, et le moins que l’on puisse dire, c’est que « Res Publica » constitue une vraie réussite. Le seul précédent en la matière de la part de cet auteur remonte à 2007, où il avait participé au recueil choral « Paroles sans papiers ».

    Pour ce faire, Chauvel, s’est appuyé sur une documentation très fouillée, toutes les sources étant mentionnées sur cinq pages en fin d’ouvrage ! Un véritable travail journalistique pour tenter de comprendre comment le mouvement des Gilets jaunes est apparu et pourquoi il a débouché sur les confrontations parfois très violentes que l’on sait.

    Si la taille de l’objet et sa densité peut effrayer au premier abord, le talent du scénariste qu’est David Chauvel rend la lecture parfaitement lisible. La bonne idée est d’avoir découpé le livre en 13 actes, clin d’œil judicieux au mouvement qui nommait ainsi les dates de manifestations, chaque introduction faisant apparaître moult citations d’Emmanuel Macron, parfois édifiantes et non dénuées de contradictions. La ligne claire réaliste et sobre de Kerfriden, qui s’appuie sur des photos ou des vidéos d’actualité, fait le reste, totalement adapté au propos. Bénéficiant d’une mise en page assez variée, ce docu-BD, en noir et blanc… et jaune (logique, non ?), nous fait revivre les événements de façon très détaillée. Tout y est, absolument tout, et l’on revoit parfois avec effroi ces images d’une violence terrible — car si la violence était le fait d’une petite partie des Gilets jaunes, celle des forces de police se déchaînait bien souvent contre des manifestants pacifistes qui ne faisaient qu’exprimer leur désir d’une vie meilleure et leur opposition au projet néolibéral et antisocial de Macron —, des images désormais rentrées dans l’inconscient collectif français à force de passer en boucle sur les chaînes TV ou les réseaux sociaux. La seule chose qui change est la perspective, très différente de celle adoptée à l’époque par les grands médias, surtout nationaux, qui ont la plupart du temps manqué d’objectivité, aveuglés par un déni stupéfiant.

    Et c’est bien là que réside la réussite de l’ouvrage. Car en ayant opté pour la restitution factuelle des événements, David Chauvel s’efforce de livrer une analyse objective et chiffrée derrière des images qui parlent pour elles-mêmes, distillant tout au plus une légère ironie dans ses commentaires plutôt que de se livrer à une diatribe violente contre le pouvoir, ce qui à l’évidence aurait rebuté une partie des lecteurs et risquait de décrédibiliser son travail.

    En guise d’hommage aux Gilets jaunes, assimilés par le discours médiatique dominant à une meute enragée et stupide, les auteurs leur donnent un visage en glissant dans la narration deux portraits d’anonymes : Alain et Vanessa, qui racontent leur parcours et comment ils ont été gravement blessés ou mutilés alors qu’ils ne constituaient aucune menace. Difficile de ne pas ressentir de l’empathie pour cet homme et cette femme, bien loin des clichés que le déni médiatique tentait alors de faire pénétrer dans les esprits.

    En effet, on a pu mesurer la panique qui s’est emparé des milieux de pouvoir face à ce mouvement de révolte spontané et insaisissable, souvent décrédibilisé par une assimilation outrancière à l’extrême-droite. On était presque interloqué par sa réaction violente, qu’il s’agisse des tirs de LBD et lacrymogènes ou du mépris des éditocrates politico-médiatiques. Par exemple, Luc Ferry, qui réclamait une intervention de l’armée, BHL, plus à l’aise pour défendre la veuve et l’orphelin sous les feux de la rampe, de préférence à l’international, Daniel Cohn-Bendit ou Romain Goupil, pourtant issus du mouvement de mai 68. L’ordre bourgeois, qu’il soit néo ou antique, semblait trembler de tous ses membres.

    De façon pertinente, David Chauvel rappelle ce qu’est la démocratie, explique la différence entre démocratie directe, revendiquée par les Gilets jaunes par le biais du fameux RIC, et démocratie représentative, celle que l’on connaît et qui verrouille toute prise de décision citoyenne. Ainsi, le livre cite les propos du philosophe Jacques Rancière qui affirme que « ce qu’on appelle crise de la démocratie a très peu à voir avec la démocratie, c’est vraiment une crise du système représentatif, en tant que tel, et qui atteste, d’une certaine manière, qu’il y a très peu de démocratie dans ce système. »

    Respectueux de la chronologie des événements, ce documentaire très complet évoque évidemment l’irruption début 2020 de la crise sanitaire liée au Covid-19, peu de temps après le mouvement syndical de décembre contre le projet de loi sur la réforme des retraites. Le mouvement des Gilets jaunes semblait alors déjà à bout de souffle, et le virus, allié involontaire du gouvernement Macron, aura définitivement mis un coup d’arrêt à cette révolte citoyenne, renvoyée à son statut d’invisibilité. Chauvel en profite pour traiter pêle-mêle de l’emprise financière sur la gestion des affaires politiques (via notamment le fameux gestionnaire d’actifs Blackrock), la collusion des grands labos pharmaceutiques avec certains ministres (n’est-ce pas, Madame Buzin ?) dont beaucoup se sont considérablement enrichis dans le privé avant d’être recrutés par Macron. De même, l’auteur revient sur la casse des services publics, et plus particulièrement la crise des hôpitaux, laquelle n’aura fait que ressortir avec plus d’âpreté lors de l’apparition du virus.

    L’image marquante de l’album est incontestablement celle, fort bien trouvée, de Macron, grimé en épouvantail alors qu’il était comédien amateur (vidéo disponible sur youtube), une image qui résume à elle seule le personnage et utilisée par Kerfriden comme un gimmick qu’il décline avec jubilation en représentant le président les bras en croix, veillant sur un immense champ de pièces de monnaie en guise de conclusion…

    Certes, le livre est dense et exigeant, mais la bande dessinée, ce n’est pas que des petits mickeys, c’est du sérieux aussi ! Ce mode d’expression possède cette fonction pédagogique d’insuffler un aspect ludique dans les sujets les plus rébarbatifs, n’empêchant en rien la réflexion, tant s’en faut, pouvant même apporter à un propos austère de la nuance voire de l’émotion ou de l’humour par le biais du dessin. En conclusion, « Res Publica » s’avère un documentaire urgent et salutaire en cette période pré-électorale, et même lorsque les jeux seront faits, ce livre demeurera assurément comme une œuvre historique de haute volée, témoignage passionnant de notre époque trouble.

    Shaddam4 Le 02/03/2022 à 09:34:50

    Le temps passe, la mémoire trépasse. Ce très volumineux et dense album est là pour nous le rappeler. Cruellement, salutairement, comme un uppercut démocratique qui nous réveille d’un trop long cauchemar. Dès sa préface, le scénariste des 5 Terres et de Robilar (où il proposait déjà sa version du monument La ferme des animaux d’Orwell) se fait modeste, ne se réclamant ni du journalisme ni du politologue, demandant la bienveillance des lecteurs qui trouveront quelques facilités, quelques erreurs de dates dans cette quantité phénoménale de sources (dont les références seront listées en fin d’album). [...]

    Lire la suite sur le blog:
    https://etagereimaginaire.wordpress.com/2022/03/02/res-publica-cinq-ans-de-resistance-2017-2021/

    JohannMangakastory Le 21/02/2022 à 11:04:23

    Un album d'utilité publique!
    Dense et riche en informations (biographies succinctes de membres du gouvernement, explication sur le libéralisme et le néolibéralisme...), cette bande dessinée revient sur le mandat du président Macron montrant comment se dernier a précipiter le pays vers le néolibéralisme.