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eintre cubiste, Jean-Philippe Dallaire (1916 – 1965) est à la fois peu connu du grand-public et révéré par les connaisseurs. Né dans le Québec de la grande noirceur (période durant laquelle le pouvoir économique et politique était aux mains exclusifs des Anglo-saxons, tandis que l’Église catholique imposait un cadre moral strict à une population francophone soumise), il réussit à se faufiler entre censure et pression sociale pour devenir un artiste novateur au sein d’une société verrouillée et sclérosée. Évidemment, cette vocation pure et dure fut synonyme d’une existence difficile, voire miséreuse, marquée par l’abus d’alcool et une certaine forme d’aliénation. Néanmoins, son travail et son immense talent furent repérés par une partie de l’intelligentsia montréalaise dès les prémices de la Révolution tranquille. Enfin reconnu, il était cependant un peu trop tard pour cet homme fatigué et malade qui vivotait en exil volontaire à Vence depuis quelques années, loin de ses proches et de sa famille.
D’un côté, Un Paris pour Dallaire est une biographie dessinée classique qui reprend différents épisodes clefs de la trajectoire du peintre : enfance, formation, mariage, bourse inespérée finançant des études à Paris, l’Occupation et son internement en Stalag, l’après-guerre comme professeur aux beaux-arts de Québec et le retour en France pour se consacrer uniquement à son œuvre sont passés en revue. Marc Tessier offre une synthèse intéressante et factuelle, malgré une narration un peu bancale par moments. Après deux-trois chapitres d’échauffement, l’ouvrage prend heureusement de l’ampleur et, surtout, de la hauteur.
En effet, c’est une autre facette du récit - celle qui met de l’avant l’essence même du personnage - qui se révèle. Dès sa première installation en Europe, le Québécois voit son univers s’élargir, il côtoie d’autres artistes et comprend enfin toutes les possibilités qui lui sont offertes. Le découpage plan-plan de Siris se transforme et s’ouvre radicalement. Le dessinateur «oublie» un peu le cadre purement BD de l’album et se permet de nombreuses inventions visuelles percutantes. La connexion entre le propos et les illustrations se retrouve alors sublimée. Le tout est emballé par une mise en couleurs également à l’unisson de l’univers pictural de son sujet.
Biopic dynamique associé à une réelle exploration psychologique, Un Paris pour Dallaire est un opus revigorant doté d’une réalisation graphique de haut vol. Une excellente lecture recommandée à tous les amateurs d’Histoire de l’Art, aussi bien québécoise que mondiale.
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