«Petar ? Je vois qui c’est, il est bien connu dans le quartier. Un gars sympa, un peu bizarre et taiseux, mais vraiment sympa. Et puis, serviable et pas mal habile pour réparer les choses et les machins, un grille-pain ou même une voiture, tout. Oui, il sort ou sortait avec Liza, un chic fille elle aussi. Ils se sont rencontrés quand il est revenu de l’armée, il y a quelques mois. Ça a tout de suite collé entre les deux. Après, je ne sais pas, ça fait un moment que je ne l’ai pas croisé. Il faudrait voir auprès de son pote Barrel, il doit bien savoir ce qu’il est devenu.»
Auteur inclassable de Pelote dans la poussière (Actes Sud BD, 2013), Miroslav Sekulić-Struja est de retour sur les étales avec Petar & Liza. Extraordinaire récit universel – un homme et une femme font connaissance et ils s’aiment -, le scénario permet à l’auteur de dépeindre e l’humanité de la jeunesse croate d’après les guerres des Balkans et, plus largement, celle de la génération Y et de ceux qui ont grandi avant le numérique. Un peu de nostalgie et d’étonnement à propos de ce passé étrangement déjà si lointain, une attention de tous les instants pour des anciens amis ou complices et finalement, pas trop de regret ; innocents, perdus et un avenir bouché, que dire de plus ?
Petar, l’alter ego à peine voilé de Miroslav, est un rêveur vaguement poète et écrivain se cherchant. Il erre dans la ville, coincé entre petits boulots et galères diverses. Il fait un peu la fête avec des potes pareillement égarés en attendant une étincelle qui lui indiquera le bon chemin. Celle-ci se concrétise sous la forme de Liza, une jeune femme dans la même situation. Rencontre, romance, moments de félicité, la fable est bien connue. L’idylle résistera-t-elle à l’implacable usure du temps et des âmes ? Le scénariste dresse un double portrait saisissant de ses héros. La psychologie de Petar, particulièrement, est disséquée dans ses plus sombres recoins. Mieux encore, il le fait sans discours ou prêchi-prêcha, tout se passe uniquement par l'intermédiaire d'une incroyable construction narrative multi-focale.
Plus peintre ou miniaturiste que dessinateur de BD, Sekulić-Struja a effectué un véritable travail de moine pour illustrer son histoire. Réalisée en couleurs directes à la peinture (acrylique, gouache), chaque case regorge de détails. Grandes compositions pleine page, savant agencement déconstruisant les actions, passages muets répondant à des blocs de texte, etc., le découpage virevolte et change d’allure au besoin. Cette richesse visuelle impose évidemment un rythme de lecture mesuré, il y a tant à observer. Dans le même temps, la lisibilité reste totale tout au long de cet incomparable et hypnotique ouvrage.
Impressionnant, grouillant de vie et de ressenti, immensément touchant et inexorable, Petar et Liza est un album hors-norme aux allures de roman russe égaré au XXIe siècle. Une expérience visuelle immersive et envoûtante à découvrir d’urgence.
Ce qui frappe en premier, c'est l'ambiance dépeinte dans les 2/3 du bouquin : un ciel bleu blafard, une ville anonyme en constante mutation, les murs défoncés par les tags, rues, appart's et terrains vagues en dépotoir, les odeurs d'alcool et de cigarettes qui montent au nez... bref, un quotidien bloqué dans la grisaille de la fin des années 80. Une évocation lointaine d'un possible conflit nous rappelle que nous sommes en ex-Yougoslavie.
Miroslav Sekulic-Struja aime bien pousser jusqu'à l'absurde la crasse et la surpopulation, ça grouille à chaque case. Ca pourrait sonner comme du Kusturica en plus anarcho-punk.
Dans ce vacarme arrive Petar. Il vient de terminer son service, accompagné de Bobo et Francesco. Les trois décident de tracer chacun leur route. Et du côté de Petar, ça sera une longue série d'écrits sur des bouts de papier, de déménagements, de poisse et de rencontres excentriques à la lisière d'un "dehors" fait de petits boulots et d'un "souterrain" alternatif peuplé de fêtards, d'anciens camarades d'université, d'artistes désœuvrés. Il a beau être entouré, l'écrivain reste taciturne voire triste. La danseuse Liza entend parler de lui, le croise une, deux fois, mais peine à mettre un visage sur le personnage. Ca sera au détour d'un énième boulot alimentaire que les deux se mettent à converser... et tout le reste est comme une évidence. Un peu trop même car même si les couleurs gagnent en vivacité autour de lui, Petar reste hanté par son univers intérieur. Est-ce que Liza arrivera à le tirer de là ?
Une très belle BD, poétique à souhait, émouvante. Un des grands albums de 2022.
Les histoires en images de Miroslav SEKULIC sont peintes dans un style très proche de la peinture populaire congolaise contemporaine, dont je suis également fan. Il suffit de taper Chéri Chérin sur Google et vous verrez ce que je veux dire. Fantastique, donc, que Miroslav SEKULIC puisse utiliser cette technique pour écrire ses romans très pénétrants.
Excellent.
L'histoire et les dialogues aussi riches qu'un roman, avec une profondeur des personnages abyssale. Les dix 1eres pages nous laissent le temps le temps de s'accoutumer au dessin. Puis on est irrémédiablement happé par la poésie du protagoniste et de sa drôle de destinée.
Vous avez passé la Page 10 ? Il est déjà trop tard. Vous voilà solidement arrimé à bord du chalutier Petar qui vogue sur la mer déchainée de l'existence. Soyez près à en assumer chacune des vagues, chacun des remous. Pas de bouée fournie, descente du bateau une fois le livre terminé. Et à terre on ressent encore le mal de mer, c'est peu dire de l'exploit !
Le livre à acheter une première fois pour le lire, et une seconde fois parce que l'auteur Miroslav Sekulic-Struja est balèze.
Espérons qu'il n'en restera pas là.