Éditeur, journaliste et essayiste, Bernard Joubert s’est spécialisé dans l’histoire et l’analyse de la censure et de la bande dessinée érotique. Son dernier projet a été de reprendre les récits libertins parus uniquement dans la presse ces cinquante dernières années (tout ce qui a été repris en album a été évincé) et d’en extraire la substantifique moelle. Des difficultés d’accessibilité ont centré ses recherches essentiellement sur la France, l’Espagne et l’Italie, sans oublier quelques incursions en Argentine ou aux États-Unis. Le résultat est ce volumineux album de trois cent seize pages, accueillant une introduction, une présentation minutieuse des œuvres et de leurs auteurs et quarante-sept récits de longueurs variables.
Le critère de sélection – outre le statut d’inédit en format livre – a été la qualité de l’écriture scénaristique, l’existence d’éléments autres que l’expression du désir ou la représentation de l’acte en lui-même. La lecture de mille numéros de revues spécialisées (Bédé Adult’, Blue ou Kiss Comix entre autres) totalisant cinquante mille pages, a permis le choix de ces pépites, dont les géniteurs ne sont pas forcément inconnus : au milieu de noms identifiés seulement des initiés, se trouvent Pichard, Magnus, Crépax, Mandryka ou Ignacio Noé. La plupart de ces artistes ont eu deux vies : l’une d’elle était suffisamment présentable pour publier dans Spirou, Zig et Puce ou L’Histoire de France en bandes dessinées. L’autre, à grand renfort de pseudonymes, par goût ou nécessité financière, s’adonnait à tous types de galipettes dans des publications dédiées.
Les historiettes proposées ici ont été publiés entre 1929 et 2017, dont une forte proportion dans les années 80 et 90. En couleur ou en noir et blanc, du plus soft à la crudité absolue, ces moments intenses abordent une multitude de thèmes ou de situations : le fantasme, le handicap, le désespoir, l’humour, le fantastique, la Science-Fiction, l’identité, la quatrième dimension, les transactions financières, l’onirisme, la scène de ménage mortelle, la parodie, les lesbiennes, les homosexuels, la frustration, la fessée, le sado-maso, le super héros, la préhistoire, la tentative de meurtre ou les indémodables bonnes sœurs. Avec cette compilation, il devient évident que, pour peu que l’on fasse un effort d’écriture, la sexualité peut être déclinée en une infinité d’approches et que l’apparente étroitesse du sujet peut donner lieu à une réelle créativité. Ce recueil démontre aussi que le format court (entre une et dix pages) est celui qui correspond le mieux au genre et lui garantit toute sa vivacité. En son temps, Fripon (de 1990 à 1992 chez les Humanoïdes Associés) en avait déjà fait la démonstration. Il confirme, enfin, que sans personnages ni contextualisation digne de ce nom, le sexe dans l’art est ennuyeux et assommant.
Comme le stipule Bernard Joubert dans son texte introductif, il ne s’agit pas là d’une énième anthologie coquine. Le parti pris d’exiger un niveau minimal d’élaboration est fondamental et le pari est réussi. S’adressant aussi bien à l’archiviste, à la recherche d’introuvables, qu’au promeneur occasionnel, Les Trésors cachés de la BD érotique satisfera celles et ceux qui pensent que tout peut être représenté, à condition d’y mettre de l’élégance et de l’épaisseur. De ce fait, il perdra de sa saveur à être feuilleté ; il donnera le meilleur de lui-même en étant lu.
Poster un avis sur cet album