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uelque part au sud de la Chine, dans la province de Guizhou, se dresse une montagne. De hautes falaises assurent sa protection tandis que l'eau ruisselle sur ses flancs. Elle est majestueuse et fière d'avoir été choisie jadis pour accueillir une puissante forteresse : Hai Long Tun, "Le Château du dragon des Mers". Mais elle sent d'étranges picotements sur son dos, comme si des milliers d'insectes étaient en train de la parcourir. Elle demande alors à un corbeau de passage d''être ses yeux et de lui rapporter ce qui se passe.
Des milliers de réfugiés convergent vers la place forte. Ils fuient devant les armées de l'Empereur Ming. Ils sont accueillis dans la cité, qui s'apprête dès lors à vivre un siège long et difficile.
Les paysans sont effrayés.
Les soldats redoutent l'affrontement contre un ennemi supérieur en nombre et bien équipé.
Quant à la famille royale, confortablement installée dans les étages supérieurs, c'est à peine si elle a conscience de ce qui est en train de se jouer. Elle laisse les subalternes se débrouiller pour régler cet aléa.
Plus de vingt ans après Rouge de Chine, Thierry Robin retrouve l'empire du Milieu avec Pierre Rouge, plume noire. Ce récit inspiré d'une légende locale lui permet de renouer avec un univers graphique qu'il affectionne tout particulièrement. Et force est de constater que le plaisir qu'il prend à l'illustrer est communicatif. Très vite, le lecteur est happé par une mise en scène spectaculaire, qui multiplie les doubles pages impressionnantes, sans pour autant délaisser la subtilité dans la représentation des interactions de classe. La narration se révèle aussi très réussie, s'articulant autour du dialogue impossible entre une montagne et un oiseau, mais ajoutant d'autres perspectives, tout aussi inconciliables. Armée, gens du peuple et nobles sont mis en scène comme autant de groupes quasi hermétiques, même si une infime porosité permet des échanges furtifs entre personnages issus de mondes différents.
Ce livre, c'est aussi la réalisation d'un vieux rêve pour son auteur. Si sa première série était fortement inspirée par plusieurs séjours en terre chinoise, elle avait laissé un gout de trop peu à Thierry Robin. Il avait la conviction que ces quelques visites ne lui avaient permis d'appréhender le pays que d'une manière trop superficielle. Par un étrange caprice du destin, ses albums aboutirent sur le bureau d'un éditeur local. Ce fut le début d'une drôle d'aventure éditoriale. Profitant du classement par l'UNESCO du site de Hai Long Tun, les autorités lancèrent une série d'initiatives pour en faire une attraction touristique de premier ordre. L'un des projets fut une bande dessinée dont la réalisation est proposée à Thierry Robin. S'ensuivent plusieurs années d'allers-et-retours, de faux départs et de retards avant une publication en 2019, dont seul l'éditeur local sait si elle connut le moindre succès.
Dargaud s'est très vite montré intéressé, mais la crise du Covid et un travail conséquent sur le lettrage, les bulles et les couleurs, trop sombres dans les fichiers chinois, ont retardé la sortie jusqu'à ce début d'année. Cela permit à L'auteur de s'assurer que le livre tel qu'il existe est exactement celui qu'il désirait. Et c'est une bien belle surprise qui allie grand spectacle, tragédie et réflexion sur la vanité universelle.
L'originalité de ce récit se passant dans la Chine ancienne est que le narrateur est un corbeau qui va être le spectateur d'une terrible bataille opposant le royaume de Yang contre l'Empereur de Chine de la dynastie des Ming.
Le lieu de cette bataille est une forteresse de Hai Long Tun qui a été assiégé par les soldats de l'Empereur. Notre corbeau va raconter ce récit à une montagne aveugle qui souhaite connaître tous les détails.
Thierry Robin réalise un travail tout à fait remarquable dans un univers qu'il connaît assez bien pour avoir jadis réalisé une série intitulée « Rouge de Chine » que j'avais beaucoup apprécié. Pour la petite histoire, il s'agissait d'une commande émanant directement d'une province du sud de la Chine où avait eu lieu cette terrible guerre fratricide. Il s'est rendu plusieurs fois sur place.
Les autorités communistes n'auraient pas trop apprécié son récit trop guerrier qui était également destiné au marché chinois. Pour autant, je dois reconnaître que le traitement personnel de l'auteur est remarquable. Il ne s'est pas laissé embrigadé dans une quelconque propagande visant à servir un régime inique mais il a gardé sa liberté de création.
Le dessin est comme toujours chez l'auteur de très bonne facture avec quelques magnifiques planches illustrant un panorama grandiose. On assiste vraiment à cette bataille qui va faire de nombreuses victimes. Bref, une beauté graphique remarquable.
Très agréable à lire et plutôt captivant, voilà une BD que je conseillerai.
Belle présentation ainsi que le graphisme, je trouve l’idée du corbeau dialoguant avec la montagne génial
Une approche totalement poétique d'un événement dramatique de l'histoire chinoise; mais aussi une réflexion sur l'absurdité de la guerre, les barrières quasi imperméables entre les différents composants de la société.
La mise en scène est majestueuse, le graphisme et les dialogues envoutants.