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rands honneurs divers et variés culminant avec un Grand Prix au festival d’Angoulême en 2020, albums encensés par la presse spécialisée et une reconnaissance unanime de la profession, Chris Ware siège désormais au sommet du Neuvième art. Pourtant, la route a été longue pour le natif d’Omaha (Nebraska) avant d’atteindre la notoriété toute relative d’auteur de bande dessinée de génie. Jacques Samson et Benoît Peeters ont uni leurs efforts et proposent une monographie mêlant présentation de l’œuvre, entretiens révélateurs, essais personnels et études critiques savantes. Bienvenue dans le monde désarçonnant de Quimby, Jimmy et autres Rusty.
Des travaux décrits comme hermétiques, froids et alambiqués, l’ascension de Ware n’allait pas de soi au départ. Auteur expérimentateur doté d’une sérieuse culture artistique et BD, il a toujours proposé des œuvres «totales» dans lesquelles chaque détail compte et où rien n’est laissé au hasard. Découpages, mise en pages, format des planches et des recueils, rythme de publications, couleurs, absolument tous les éléments de ses créations sont pensées en fonction des thèmes abordés et de la narration. Ajoutez des sujets dramatiques se concentrant sur la psychologie et les sentiments les plus ténus et vous obtenez des histoires graves, voire tristes, aux tonalités pouvant paraître peu engageantes, à première vue seulement.
En effet, une fois fait l’effort d’ouvrir Jimmy Corrigan ou de piocher un fascicule dans la boîte de Building Stories, il est impossible de ne pas se sentir envahi par la délicatesse de ces récits hypnotiques. Impossible également de ne pas partager les espoirs, tristesses ou chagrins de ses personnages alors qu’ils prennent vie sous nos yeux. Peu importe finalement, si le chemin peut sembler tortueux ou, parfois, incompréhensible à force de schématisation quasi-abstraite des relations humaines : l’émotion est là, perlant dans chaque trait et chaque case. Il ne s’agit plus de bande dessinée ou de littérature, c’est la vie qui s’exprime directement via les pinceaux de ce créateur hors pair.
Il y a les virtuoses du dessin, les conteurs-nés, les champions de l’humour et les spécialiste des séries sans fin ni but, tous participent à leur manière à l’évolution de la bédé. Rares, en revanche, sont ceux dont le travail redéfinit littéralement leur art pour l’amener plus loin. Ware fait partie de ceux-ci. Chacun de ses albums, du fait de leurs richesses visuelles et leurs thématiques montrent des nouvelles voies et des façons inédites de raconter. Oui, c'est indéniable, Chris Ware est bien synonyme de bande dessinée réinventée.
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