D
ans À l’heure où les dieux dorment encore, c’est sous l’égide du poète indien Sri Arubindo que Cosey présente des extraits de ses carnets de voyages. Croquis pris sur vif, illustrations pigées ici ou là au fil de commandes spéciales, réflexions diverses et variées sur son métier, le créateur de Jonathan se dévoile un peu, mais surtout invite à la découverte et à la curiosité. Près de quinze ans après Echo, un recueil similaire qui revenait sur l’ensemble de son œuvre et la mettait en perspective, ce sont en quelque sorte les prémices du processus de sa création dont il est question. Un regard furtivement croisé, un étal débordant, une publicité originale ou une mascotte colorée, des panoramas majestueux et tous ces petits riens visuels qui nourrissent sans en avoir l’air l’âme du bourlingueur-dessinateur.
Des cimes enneigés de sa Suisse natale aux sommets dramatiques du Ladakh, le début de la balade résonne comme un air connu aux oreilles du lecteur. Quelques pages plus loin, le paysage change néanmoins. En effet, si son amour pour le Tibet et la verticalité demeure essentiel, Cosey a poussé ses explorations dans d'autres lieux. Le Japon, la Birmanie, l’Inde : cette Asie et cet Extrême-Orient où l’ombre du Bouddha porte encore et toujours. Puis, plus près de l’Europe, le pourtour méditerranéen a également été visité. Même différents, les bleus des cieux des Cyclades, de Corfou ou du désert algérien ne sont pas moins intenses que celui de l’Himalaya. Évidemment, qui dit nouvelles contrées, dit nouvelles cultures et milles autres manières de représenter le monde et le vécu. Un véritable régal pour celui qui s’intéresse tout spécialement aux détails de la vie de tous les jours.
Ces fragments de l’existence, qu’ils soient aussi dérisoires qu’une étiquette de bière ou, à l’opposé, imposants comme un temple de pierres taillées, sont autant d’éléments qui meubleront et rendront vivants une case d’un prochain projet. Pour l’instant, ces petits crobars rapidement réalisés sous un soleil de plomb ne ressemblent pas à grand-chose, mais ils sont posés et serviront de référence dans la construction d’un futur décor ou bien, avec beaucoup de chance, joueront peut-être un rôle dans une intrigue restant à inventer. Avant d’éventuellement réapparaître, il s'agit simplement des bons souvenirs et d'exercices graphiques réalisés pour le plaisir et ne pas perdre la main.
De retour à son studio, l’artiste-artisan prend le temps de parler boutique et dévoile quelques secrets de «fabrication» avec, en particulier, une passionnante leçon de couleur. Pas de doute, derrière chaque planche se cache un méticuleux labeur dûment réfléchi. Au passage, l’amateur appréciera les évocations de plusieurs maîtres du Neuvième Art et partagera certainement l’admiration que Cosey porte à Derib, Pratt, Franquin et quelques autres.
Superbe monographie aussi dense que légère, À l’heure où les dieux dorment encore permet de mieux appréhender l’approche globale – artistique et humaine – de l’un des plus grands auteurs contemporains.
Poster un avis sur cet album