U
nique «effort» romanesque signé du grand Georges Brassens, La tour des miracles est originellement paru en 1953. Toquade tanguant entre surréalisme, gauloiserie et pamphlet libertaire, l’ouvrage n’a jamais dépassé le statut de bizarrerie au sein de l’immense œuvre du chanteur à la pipe. Logeant tous ensemble dans une sorte de commune nichée au dernier étage d’un immeuble branlant, une distribution haute en couleurs, faite d’individualistes et d’originaux en tout genre, s’ébat, discourt et flagorne à qui mieux mieux en se moquant d’eux-mêmes et des bourgeois qui passent sous leurs fenêtres. Le style totalement libre, la tonalité gentiment pornographique et le rythme rappellent évidemment l’univers poétique de l’auteur du Gorille. Pourtant, le texte ne convainc qu’à moitié et fait pâle figure face au reste de sa production.
Épuisée depuis des années, l’adaptation BD signée Étienne Davodeau et David Prudhomme ressort à nouveau, juste au moment où le centenaire du chansonnier a été fêté. Virevoltante et complètement lâchée, cette version bédé capture l’essence même du roman : une succession un peu foutraque d’anecdotes et de personnages déglingués, le tout avec une tendance obsessionnelle pour la chose (comprendre la sexualité). Oui, c’est gentiment subversif ou, à la limite, vaguement progressiste, mais c’est surtout un beau ramassis de n’importe quoi sans queue ni tête, certainement imaginé à la petite semaine. Cela dit, Fred, un autre poète amateur de spontanéité, aurait certainement apprécié l’atmosphère nonchalante de cette fantaisie.
Quelques caricatures en guise de clins d’œil, des silhouettes grotesques façon miroirs déformants, quelques trop rares vues d’ensemble, Prudhomme semble s’être bien amusé en dessinant le scénario de son comparse. Celui-ci a fait ce qu’il a pu avec le matériel de départ et, évitant intelligemment d’être littéral, il est malheureusement resté un peu trop collé du cœur de son sujet. Malheureusement, car il n’a pas su éviter le côté suranné et vieillot de cette fable provocatrice aux fondements irrémédiablement datés.
Pochade forcée devenue avec le temps un témoignage amusant de la morale de son époque, La tour des miracles reste une curiosité très secondaire, malgré une mise en images inventive aussi syncopée qu’énergique.
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