I
l ne restait qu’une poignée de kilomètres, ils furent avalés. Les voici enfin à Ankara, leur destination originale. Est-ce vraiment la fin du périple ? Après un court arrêt chez des connaissances, Nicolas et son cousin décident de pousser un plus loin leur Citroën Visa (enfin, ce qu’il en reste) et d’aller voir la mer du côté d’Antalya, à quelques cinq cents kilomètres plus au sud.
L’ombre d’Henry Michaux (version motard) à ses basques, un nouveau lot de souvenirs à la fiabilité discutable, ainsi qu’une foule d’autres réminiscences plus personnelles, Nicolas de Crécy boucle Visa Transit avec les moyens du bord. La route s’est révélée extraordinaire, les anecdotes savoureuses ou douloureuses et, avec le recul, formatrice. Par contre, quand la ligne d’arrivée est franchie à la page dix et que l’album en compte près de cent cinquante, que raconter encore ? Évidemment, il reste toujours quelques petits racontars à glisser, dont un amusant final administratif déchaîné, mais ça ne suffit pas. Alors, pour meubler, le scénariste élargit son cadre et se met à parler de lui, de sa santé et d’autres expéditions entreprises ici ou là au fil des ans. Ces détails se montrent intéressants pour eux-mêmes, surtout qu’ils sont intelligemment amenés par des rêves ou ce maudit poète vociférant sans cesse des injonctions au dépassement de soi. Cependant, ils sentent beaucoup les pièces rapportées et diluent le cœur de ce récit initiatique. Le festival culturel biélorusse narré dans le deuxième volume partait de la même intention mais, moins prépondérant, n’écrasait pas la narration principale comme dans le cas présent. Ce glissement de travelogue à autobiographie classique rompt malheureusement le charme initial de la découverte et du dépaysement.
Visuellement, le dessinateur rend comme à son habitude une copie d’excellent niveau. Le style faussement fragile rend parfaitement l’hésitation due à une mémoire fluctuante. Pour autant, ce flou volontaire n’est que de façade. Un minimum d’observation permet de s’apercevoir de la précision et la justesse du trait de l’artiste. La merveilleuse mise en couleurs apporte le supplément de profondeur indispensable à ces illustrations vibrantes et au ressenti palpable.
Comme le dit un des deux protagonistes : «L’aller, c’est l’aventure, le retour, c’est la déprime». Cet ultime tome de Visa Transit lui donne en partie raison. Trop éclatés et éparpillés, ces ultimes hectomètres se retrouvent noyés par le bruit diffus du vécu. Dommage, le reste de la balade était si beau.
5/5 pour le premier qui offrait un scénario original et bien ficelé. 3/5 pour le tome 2 avec des digressions diverses et variée (la Biélorussie...) qui n'apportent rien et appauvrissent le scénario. 1/5 pour le tome 3 qui ne présente aucun intérêt. Quelle déception