L
e mauvais jour, pas au bon endroit ! Finalement, il en faut peu pour que tout bascule. Une simple altercation, un fâcheux concours de circonstances et ce qui aurait pu être une belle journée vire au cauchemar.
Avec son dernier album, Isao Moutte s’amuse, avec un sens consommé du suspense, à mettre les nerfs à vifs de six pauvres naufragés de la route qui, par la force des choses, vont être les victimes collatérales d’une bande de dégénérés qui cultive le crétinisme familial comme d’autres les pommes de terre.
Sobre dans son graphisme semi-réaliste et frustre dans sa mise en couleurs automnale, Clapas se démarque par une tension qui sait aller crescendo. Ici, la mise en forme deviendrait presque accessoire face à un scénario qui se complait à dresser une peinture de la ruralité bien éloignée des clichés d’entraide et d’empathie qui lui colle aux bottes.
Sans fioriture, mais efficace Clapas confirme la prédilection d’Isao Moutte pour le thriller atypique.
Clapas est le genre de polar assez glaçant qui nous présente les habitants d'un village de montagne reculé comme des assassins en puissance. Il ne vaut mieux pas tomber en panne au milieu de la montagne. Un groupe de gens en fera d'ailleurs l'amer expérience.
Cela me rappelle un peu les slashes movies des années 90 dans l'ambiance. Chacun semble y passer à son tour même ceux qu'on penserait invulnérable. Par ailleurs, les chasseurs et ces villageois isolés n'ont pas très bonne réputation. Un très bon point est cette tension palpable qui monte à chaque fois d'un cran.
J'ai bien aimé cette lecture qui m'a semblé assez dynamique. On ne s'ennuie pas au milieu de toutes ces péripéties sur près de 150 pages tout de même. A noter que cette BD un peu hybride a été réalisé par un auteur franco-japonais ce qui explique sans doute un mélange d'influence entre le manga et la BD européenne.
Sinon, pour le titre, c'est tiré du mot « claps » qui signifie tas de pierre en occitan. Il faut dire que ces fameux cailloux joueront un rôle non négligeable dans ce thriller campagnard.
Certains clameront que ce récit est une véritable tuerie. Oui mais au sens propre du terme ! Le récit est cependant original et il m’a convaincu. Je recommande.
Etrange thriller qui mâtine les genres, Clapas installe et maintien une tension qui s'accentue au fil des pages jusqu'à l'ultime case. Dans un cadre - les magnifiques paysage de la drôme - qui évoquerait davantage une atmosphère paisible et aimablement pastorale, Isao Moute entraine ses six naufragés d'une étroite route de montagne littéralement déchirée par des éboulis de pierres dans un périple pédestre qui va les mener vers le drame. Très rapidement, on sent s'épaissir un malaise qui ne nous quittera plus. Quand les évènements déraperont, nous assisterons le souffle court au fatal mouvement qui tend à les mener les uns après les autres à la mort. Bientôt, il ne s'agira plus que d'essayer de survivre par tous les moyens.
Dans un contexte qui nous laisserait aisément croire à une aimable chronique sur la ruralité et ses valeurs éternelles, l'auteur nous fait glisser petit à petit dans un registre à la brutalité crue et à l'angoisse poisseuse. Il y a un côté Délivrance (le film de Boorman) dans cette histoire. Mais c'est surtout l'histoire de choses qui s'enchainent mal et déraillent, comme autant de cailloux dévalant les pentes du lieu où se déroule l'action qu'on appelle "le Claps" (ou" clapas" en occitan en référence à ces rochers de toutes tailles qui jonchent le coin depuis la fin du moyen âge).
L'influence du cinéma est évidente dans le découpage et dans l'inspiration du récit. L'intelligence de l'auteur est de lui avoir donné une forme à laquelle on ne s'attend pas, celle d'un style propre au roman graphique français.
Isao Moute est un formidable dessinateur, qui sait rendre l'expressivité d'un visage, la posture d'un corps, un regard, aussi bien que l'imposante présence d'un paysage, d'un levé de soleil ou d'un crépuscule brumeux. Tout cela dans un style très caractérisé, vibrant, libre et appliqué à la fois, jouant habilement avec deux couleurs terreuses et le noir du trait pour composer toutes les nuances d'ombres et de lumières de ses planches.
Il possède un sens aigu du rythme et du découpage qui donne à son récit une fluidité et une lisibilité assez rare. Rien n'est laissé dans l'ombre dans son dessin, chaque détail se livre sans qu'on ait besoin de décrypter une case pour appréhender tous les recoins du récit.
Oui, Isao Moute est un auteur doué, un conteur de premier ordre. Clapas est un pur polar et mille autres choses cependant, un objet hybride fort bien né.
Clapas constitue une bien belle découverte et un album haletant.
Scénario et dessin: 4,5/5