A
u début étaient les singes. Grands, velus. Et les elfes, et les centaures, et les fantômes. Tous puissants et bien membrés. Puis arrivèrent simultanément les Hommes, uniquement intéressés par le sexe, et les Géants, uniquement intéressés par la nourriture. Géographiquement parlant, les deux zones ne sont pas très éloignées. Les Géants mangent les Hommes, les hommes prennent les femmes, les elfes regardent, le reste est caché. Et tout finit dans un grand éclat de rire.
Pauvre Goya! Quand il a peint en 1823 son magistral Saturne dévorant l'un de ses enfants, il imaginait certainement faire peur aux petits enfants comme le héros du Bonheur des Ogres de Pennac. Mais aurait-il pu penser être pris pour base du "mushroomic art", mouvement qui se définit lui-même comme poussant sur la pourriture ?
On ressort de sa poche, toute prête, la bonne vieille querelle des Anciens et des Modernes. Celle du XVIIème, celle qui a pris en otage la première d'Hernani au Théâtre Français, celle qui utilisait comme prétexte la présence d'oeuvres de Picasso dans les musées nationaux. Celle qui oppose les tenants d'une modernité flamboyante et novatrice et les partisans d'une sagesse et d'un respect des oeuvres plus-que-centenaires et faisant déjà partie de la mémoire collective. Et tout ça pour quoi ? Pour un ouvrage qui se dénomme lui-même Art Book, et qui est effectivement composé d'une suite d'images reliées entre elles par un thème. Au fait, ce thème, quel est-il exactement ? "La découverte de la poésie" ou "Verge : évolutions, formes et tendances"? Allons, nous sommes des lecteurs modernes, ce ne sont pas quelques sexes en érection qui vont nous choquer ... En revanche, comme toujours, leur exposition sans détour et leur utilisation sans raison agacent, dussent-t-elles être le fait d'êtres primaires esclaves de pulsions qui ne le sont pas moins.
Pourtant, ça partait bien : le graphisme travaillé est de ceux qui plaisent, la reprise de légendes antiques dans un noir et blanc puissant et empli de symboles est à la mode ( L'Âge de Bronze en est un bon exemple), les livres gros et chers ont la cote. Mais Delmas et Carabas tombent sur un os : un art-book, ce n'est pas une BD, et à 50€ l'exemplaire on peut se payer le luxe d'une démarche artistique plus aboutie que celle qui consiste à se contenter d'un basique "je colle des images les unes à côté des autres sans fil conducteur". Une déception donc. L'oeuvre s'annonce trilingue mais à force d'obscurantisme ne nous parle pas, la liberté qu'elle brandit comme un étendard lui ayant fait confondre quantité et qualité.
C'est un album qui n'est pas totalement inintéressant. Il trouve la force d'être verbeux sans qu'un seul mot ne soit prononcé... à part le rire de fin mais qui nous laisse sur la nôtre.