D
epuis le collège, la relation de Yusuke Serizawa à la gente féminine est faite de maladresses et d’actes manqués. Cela a commencé au collège avec la timide « Nobuta » qu’il a commencé à fréquenter suite à un gage donné par Shimizu, le leader de sa classe. S’il a d’abord l’impression de flouer la jeune fille, l’adolescent apprécie leurs échanges et s’aperçoit qu’elle est plus intéressante que ne le suggère son effacement. Mais ce rapprochement déplaît à Shimizu qui rend le quotidien du garçon difficile et l’amène à mal se conduire avec sa camarade. Devenu adulte, Yusuke conserve des remords ravivés et amplifiés à la suite d’un accident de scooter survenu après avoir croisé une femme lui rappelant quelqu’un qu’il a connu.
Dans Fragments d’elles (série en sept volumes dont le deuxième est sorti au début du mois d’octobre chez Pika), Mag Hsu explore les amours de jeunesse d’un homme à travers les souvenirs qu’il en conserve, le regard qu’il porte sur ses émotions et sentiments passés, les traces laissées par ses attachements plus ou moins longs. Le premier tome débute quand le héros est collégien, avant de faire un bond dans le présent. C’est là que l’autrice relance l’intrigue avec un événement qui conduit à un nouveau retour en arrière. La navigation entre les deux temporalités est fluide et bien amenée. Quant au mystère qui entoure la silhouette féminine fugacement entraperçue et les mots prononcés par celle-ci, il demeure entier et parvient à susciter la curiosité. Qui est-elle et comment Yusuke l’a-t-il connue ? Bien que la réponse ne soit pas encore apportée, les questions, elles, permettent à la scénariste d’ouvrir d’autres cases de la mémoire affective de son personnage principal, à travers ses relations avec sa toute première petite copine, puis sa professeure de cours privés. Sonnant juste, l’une évoque les difficultés inhérentes à la rencontre avec quelqu’un qui parle une langue étrangère et vient d’une autre culture. L’autre s’attarde sur les émois que peut faire naître la fréquentation d’une enseignante plus âgée, ainsi que les tabous liés à la différence d’âge. Cependant, le récit qui frappe le plus reste celui qui initie l’album. L’évolution de la relation entre Yusuke et « Nobuta », la gêne et l’attrait de part et d’autre, le basculement dans le rejet quand le jeune homme est lui-même pris à parti se révèlent fort et assez percutant.
L’ambiance douce-amère de ce shônen situé entre tranche de vie et romance est joliment restituée par Nao Emoto, dont le trait fin et expressif sait rendre les émotions des protagonistes de façon convaincante. Sous son crayon, les visages s’animent, envahis par des sentiments parfois contradictoires, et font écho à la narration en voix off. Les cadrages variés et le découpage soigné assurent une bonne dynamique d’ensemble. Par ailleurs, quoique les angles de vue privilégient les gros plans sur les figures des personnages, certaines vignettes proposent quelques décors et cadrages plus vastes qui donnent consistance au reste.
Plutôt bien mené, Fragments d'elles constituent une plongée intrigante et éloquente dans la manière dont un être se construit par le biais de ses relations affectives. À lire.
Poster un avis sur cet album