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Docteur Radar 3. Morts à Venise

13/09/2021 6874 visiteurs 7.8/10 (4 notes)

À la sortie de la Première Guerre mondiale, la tension est à son comble entre l’Italie et la Yougoslavie. L’avenir du statut de la ville de Fiume est au centre de toutes les conversations, une aubaine pour Benito Mussolini. Le Duce opère alors un revirement stratégique à droite et noue une alliance qui devrait lui permettre d’accéder à la députation. Seulement, sur les terres transalpines, le machiavélique Docteur Radar manœuvre en secret. En possession d’une partie des travaux des plus illustres scientifiques du monde, il entreprend de construire une fusée spatiale. Hors de la stratosphère, nul doute que ses menaces de bombardements seront prises au sérieux. Désormais, il ne lui manque plus que les équations du professeur Bene. Ces formules sont détenues par le détective gentleman Ferdinand Straub. L’as de l’aviation et son fidèle ami Pascin contrarient toujours les plans scélérats du Tueur de savants. Oui, mais pour combien de temps encore ? Le génie du mal prend en otage la population vénitienne et sème la mort par des raids aériens !

Noël Simsolo poursuit l’adaptation de son pastiche feuilletoniste et radiophonique, diffusé à la fin du siècle dernier sur les antennes de France Culture. Dès l’entame de ce troisième opus, Radar bascule dans une folie meurtrière. Authentique héros de la saga, le maître du maquillage ourdit avec dramaturgie et trucide avec humour. Le lecteur découvre ses nouveaux sbires dont la bassesse n’élude pas l’amour du bon-mot. Ce qui offre des dialogues détonants et éminemment nécessaires à l’intrigue. Les rebondissements crépusculaires s’enchaînent autant que les petites manigances, les capsules de cyanure éclatent, les cobras sifflent sur nos têtes et une navette toute « Jules Vernienne » décolle ! En résumé, le scénariste et son acolyte, Frédéric Bézian, maîtrisent admirablement leur sujet. Ils retranscrivent les années rouges italiennes (Bienno rosso, 1919 et 1920), tout en mêlant les influences des romans feuilletons de Maurice Leblanc, Pierre Souvestre et Marcel Allain. Les auteurs se réfèrent également au courant expressionniste allemand et à ses dérivés à travers le cinéma muet, au premier rang duquel trône Les Espions de Fritz Lang (1928) – surtout, Ne touchez à rien. Ce tome est une véritable proposition d’art séquentiel à la fois populaire, exigeante et Oubapienne. Voyez plutôt.

Sur Docteur Radar, Frédéric Bézian a placé son travail graphique sous les auspices de la symétrie. Le gaufrier est élaboré de manière à se refléter autour d’un axe – un point central, une démarcation horizontale ou verticale. Afin d’éviter que cette facétie nuise à la mise en scène, l’artiste se ménage une autre voie de composition. Dans ce cas, il utilise divers biais comme une utilisation habile du champ/contrechamp ou encore une étude de l’écho entre la dernière vignette d’une page et la première case de la même séquence. Au terme de ce volume, le dessinateur se risque même à la construction d’une planche en « X ». Les diagonales prennent de l’essor et donnent à voir ce que seul le médium peut apporter. C’est l’expression même de la singularité du neuvième art.

Le bédéiste délivre en outre une partition sublime faite de gestuelle théâtrale, de yeux écarquillés façon Gus Bofa et de traits acérés. Anguleux et torturé, l’encrage est soutenu de trames mécaniques en référence aux illustrés des journaux du tournant du vingtième siècle. Côté luminosité, les protagonistes évoluent souvent à contre-jour, perpétuellement plongés dans une semi-obscurité subtilement colorisée par un bain teinté. Un rendu pictural proche de la technique du virage et du teintage des pellicules précédent l’irruption de la bande-son optique en 1927 et du Sonochrome d’Eastman Kodak en 1929. La palette de couleurs est réduite. Elle ne retranscrit pas le réel, mais une ambiance qui fait sens.

Aussi dense que les précédents albums de la série, Morts à Venise est un déferlement d’aventures nuiteuses, de péripéties rocambolesques et de graphisme sophistiqué. Frédéric Bézian et Noël Simsolo livrent, tout simplement, un condensé du meilleur de ce qui se fait en bande dessinée actuellement : un récit grand public doté d’une ambition plastique affirmée et époustouflante !

Par Y. Machado
Moyenne des chroniqueurs
7.8

Informations sur l'album

Docteur Radar
3. Morts à Venise

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Note: 4.3/5 (15 votes)

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L'avis des visiteurs

    minot Le 08/10/2021 à 22:56:27

    Dernier acte de la lutte impitoyable entre le détective Ferdinand Straub et le machiavélique DOCTEUR RADAR.
    Si le scénario plait par son extravagance et son ambiance "julesvernesque" (sic) autant que "jamesbondienne" (re-sic), ainsi que par l'ironie de ses dialogues, c'est surtout graphiquement que cet album frôle le génie. Bézian est un p*** de virtuose, aussi préparez-vous à recevoir une immense claque graphique à la lecture de cet album !

    DOCTEUR RADAR est une série d'aventures assez convenues (c'est bien évidemment voulu) graphiquement hors-norme. Merci aux auteurs pour ces très bons moments de lecture.

    Yovo Le 04/10/2021 à 19:28:50

    Une classe à part ce Docteur Radar !

    Du scénario, je retiendrai surtout les dialogues à l’ironie savoureuse, l’extravagance jubilatoire des situations et le panache des personnages, tous très en verve.
    Le reste de l’histoire est plus convenu, volontairement cantonné à l’esprit feuilletonesque des années 1920 avec le super méchant, génie du mal à plein temps, qui veut conquérir l’univers depuis sa base sous-marine secrète…

    Mais c’est surtout visuellement que Dr Radar est hors norme. A ce niveau ce n’est même plus du dessin mais une véritable création artistique, unique.

    Ce 3ème et dernier tome se déroule entièrement de nuit, ce qui donne à la lumière un rôle capital. Les éclairages, très théâtraux, projettent des ombres menaçantes et découpent à la serpe les visages et les décors pour plonger instantanément le lecteur dans une atmosphère vertigineuse de mystère, de glamour et d’effroi.

    Le jeu des personnages est à la fois exagéré et subtil, proche d’une pantomime expressionniste. Ils en imposent avec leurs mouvements dansants et leurs yeux écarquillés copieusement surlignés.

    Le découpage inventif et des cadrages déséquilibrés renforcent constamment la dramaturgie et confèrent une énergie tourbillonnante à chaque planche.

    La couleur, enfin, est la pièce maîtresse de ce langage graphique ; puisée dans une palette inhabituelle et peu usitée, chaque teinte participe à la structure de la case et lui donne son rythme et sa profondeur.

    L’ensemble témoigne d’une recherche esthétique et d’une maîtrise éblouissantes. Je n’ai pas d’autre mot que « chef d’œuvre » pour qualifier le travail de Bézian.

    Je préviens tout de même que cette trilogie reste exigeante. Le texte est riche et les planches ne se décryptent pas toujours au premier coup d’œil.
    Mais pour moi c’est une très grande BD. Bravo !!