B
rian est un jeune homme un peu étrange. De prime abord, il apparaît discret et renfermé. Il passe des heures à remplir les pages de ses carnets d'un bestiaire bizzare et d'autoportraits déformés. Depuis l'enfance, il réalise avec son pote Jimmy, des courts-métrages d'horreur. Pour leur prochain film, ce dernier a déjà choisi qui en sera la vedette: Laurie, une jeune fille plutôt banale.
Jusqu'alors, Charles Burns s'appuyait beaucoup sur une imagerie grotesque. Individus dégénérés physiquement ou psychologiquement, et créatures hybrides étaient légion dans son univers. Il serait pourtant réducteur d'y voir le cœur de son travail. Cet aspect n'est en aucun cas gratuit et sert avant tout à souligner le mal-être de ses personnages et, plus généralement, d'exprimer les troubles de la transition de l'adolescence vers l'âge adulte.
Dédales s'inscrit dans la droite ligne de Black Hole et Toxic. Il s'en éloigne pourtant par plusieurs aspects qui pourraient donner l'impression que l'auteur de El Borbah édulcore son propos. En réalité, ce dernier n'a plus besoin d'utiliser les artifices qui faisaient de ses œuvres précédentes de telles réussites. Le résultat est moins spectaculaire et ne suscite pas le malaise généralement associé à son travail. Il n'a cependant rien perdu de sa précision clinique.
Il se concentre cette fois sur la relation naissante entre deux individus. Est-ce une romance ? L'avenir le dira. Si Brian personnifie le "héros" burnsien typique, il en va tout autrement pour Laurie. Elle représente une nouveauté fondamentale. Jusqu'à présent, les personnages féminins jouaient rarement un rôle à ce point central dans les intrigues. La narration de Dédales offre indéniablement la même importance aux deux protagonistes de ce récit. L'un est plutôt perturbé, l'autre est plus rationnelle. Chacun porte une fêlure, plus ou moins explicite. Leur rencontre permettra-t-elle de combler mutuellement le vide qui semble les ronger ? Au contraire, sombreront-ils corps et âme ?
Il est évident que Burns ne va pas traiter ce sujet frontalement. Il alterne les couches, entre réalité, rêves et fantasmes. Il utilise également la passion de Brian pour le cinéma de genre et multiplie les références à Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel. L'imagerie particulière de ce film (les habitants d'une ville sont progressivement remplacés par des copies dénuées de toute émotion, conçues par des cocons d'origine extraterrestre) sert de caisse de résonance aux angoisses des personnages. Conscient et inconscient se répondent, sans qu'il soit possible de définir clairement quand l'un s'efface au profit de l'autre. Entre l'apparente froideur et la complexité de la construction de l'intrigue, cette nouvelle série pourrait donner l'impression d'être décevante et de n'être qu'une déclinaison trop sage des œuvres précédentes. S'il est effectivement difficile de se faire un avis définitif avant sa conclusion, elle semble plutôt vouloir constituer une forme d'apothéose, dépouillée des ingrédients les plus visibles pour se concentrer sur l'essentiel. Il ne sera possible d'émettre un jugement définitif qu'une fois le mot "FIN" écrit. C'est donc avec une certaine impatience que la suite est attendue.
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