A
près une relecture toute personnelle des prémices de l’aviation (Les premiers aviateurs), Alexandre Fontaine Rousseau et Francis Desharnais prennent de l’altitude et s’attaquent à l’ultime frontière avec La conquête du cosmos. Plus ancré dans la réalité que leur précédent album, les auteurs y passent en revue une douzaine de moments-clefs de la course aux étoiles. D’un côté les Soviétiques et leurs champions Spoutnik, Laïka et Gagarine, de l’autre les USA et les héros du programme Apollo, avec, au milieu, des commentaires en québécois pur jus retraçant à leur manière ces célèbres aventures spatiales.
Livre au design soigné, La conquête du cosmos joue en permanence sur les décalages et la distorsion. L’Histoire est revisitée avec humour et une bonne dose de satire (le journal de bord de Michael Collins ou l’exploitation marketing de la NASA, par exemple), tout en respectant l'essentiel des faits avérés. Surprise sémantique cependant, les chapitres sont soutenus par des dialogues au vocabulaire et à la syntaxe tout droit sortis du Québec (et plutôt de l’arrière-pays que de Montréal). Ces échanges truculents ajoutent encore plus de distance et rendent cette épopée légendaire, non pas ridicule ou clownesque, mais, contre toute attente, profondément bienveillante. En effet, l’absurdité de certaines scènes, comme les demandes répétées du centre de contrôle pour que Gagarine décrive avec emphase et patriotisme l’éther dans lequel il flotte (c’est froid, grand et vide) remettent à leur façon les pendules à l’heure et rappellent le dérisoire et la vanité des entreprises humaines. Ce soupçon de philosophie fataliste est heureusement plus que ténu et n’enlève rien au plaisir jouissif qu’entraîne de cette hilarante lecture.
Le côté minimaliste et quasiment synthétique de la narration joue beaucoup dans l’aspect singulier de l’ouvrage. Découpage «moule à gaufres» strict, cases homothétiques et répétition des mêmes décors au sein de chaque épisode, avec seulement quelques variations graphiques infimes, le résultat fait évidemment penser à la littérature potentielle et, par extension, à certains travaux anciens de Lewis Trondheim. Pour autant, l’ensemble reste vivant et, le plus important, captivant à parcourir. Là aussi, le décalage induit par la drôlerie des propos et la rigueur de la construction des planches se montre astucieux et facétieux. Impossible de ne pas mentionner la mise en couleurs également bien pensée ; les choix chromatiques soulignant les nationalités en présence s’intègrent parfaitement à l’esprit général de cet étonnant projet.
BD de genre, BD historique, BD expérimentale, oui, mais surtout BD immensément drôle ! La conquête du cosmos telle que vue du côté de la Belle Province s’avère particulièrement réussie et percutante.
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