U
n étrange triangle amoureux : une femme dans un coma avancé, un sculpteur lancé dans une quête obsédante et une photo mystérieuse représentant une inconnue sur la plage de Cadaqués.
Jim est capable de proposer des choses très légères (Je ne savais pas quoi t'offrir donc je t'ai pris ça), comme des thèmes plus profonds (L'érection, Petites éclipses...). Dans L'étreinte, il aborde avec son comparse Laurent Bonneau un sujet délicat où les préoccupations d’adultes sont exposées et examinées avec sensibilité, justesse et habileté. Pour leur collaboration, les deux artistes ne voulaient pas d'un projet conventionnel. Ils ont alors convenu d'un processus atypique : travailler sans ligne directrice de base, en partant d'abord d'un visuel (le fameux cliché), chacun proposant ensuite ses idées au fur et à mesure, au gré de leur inspiration, comme une sorte de ping-pong tissant peu à peu le canevas de l'histoire, le graphisme servant d'élan au scénario. Ils ont enfin assemblé le tout en prenant soin d'assurer une cohérence parfaite.
La trame est simple et rêche : alors que son épouse est mourante, un homme est partagé entre la culpabilité et le désir de s’autoriser à continuer de vivre au travers d'une enquête paraissant accessoire, néanmoins primordiale à ses yeux. Ces deux sentiments servent de prétexte à une œuvre toute en finesse et pudeur, l'un des leitmotivs étant la fugacité de la vie, l'importance de profiter des instants précieux et de prononcer les mots qui touchent avant qu'il ne soit trop tard ; tellement évident et si difficile à faire. Cela est narré sans donner de leçon et sans emphase, à l'aide de dialogues justes et d'une narration prégnante en voix off à la première personne. En parallèle, une réflexion sur la transmission et sur le rôle consolateur et mémorial de l'art est amorcée à travers les références célèbres : Dali et Gala, Chagall et Bella et donc l'exposition de Benjamin consacrée à Romy, qui lui offre un destin éternel grâce à la reproduction de bustes d'elle à des âges différents. La référence aux Choses de la vie de Sautet est également évidente et assumée. Riche en émotions multiples, ce roman graphique se bâtit peu à peu de par les fausses pistes, les espoirs, les craintes, les envies, les déceptions, les illusions.
Laurent Bonneau possède un dessin très personnel qui a bien évolué depuis (Metropolitan) et qui se retrouve dans ses dernières bandes dessinées : son trait brut et charbonneux, viscéral même, car parfois vacillant, pourra rebuter au premier abord, pourtant, il s'impose comme une évidence tellement la synergie entre texte et image fonctionne. Seules trois tonalités de couleurs sont utilisées : bleu, rouge et sépia, ce choix restreint accentue le coté intimiste de l'intrigue. La confusion et la complexité des sentiments sont formidablement retranscrits, non seulement dans les dialogues et les non-dits, mais aussi dans l'expressivité des visages. Les cadrages et les plans de vue traduisent aux moments opportuns la mise en abîme des états d'esprit fragiles et malmenés des personnages.
Ce drame ambitieux relève de l'intime et devrait résonner en chacun des lecteurs ; plus qu’un exercice de style, le duo signe ici un récit poétique, poignant et essentiel.
Achetée le jour de sa sortie, lue seulement hier...
Il est clair que ce n’est pas la BD la plus rigolote que j’ai lue, cependant j’ai adoré l’ambiance que les auteurs ont réussi à décrire
Les dernières pages expliquent le processus de création cette BD atypique : cela a été un ping-pong entre l’auteur et le dessinateur. Connaitre ce process n’apporte rien à l’histoire, mais montre combien la symbiose entre les deux a bien fonctionné.
Je n’aime pas trop le dessin, mais les aplats de couleur permettent de créer une ambiance et de recadrer le trait parfois fouillis et volontairement imprécis.
On sort de là triste et joyeux à la fois : sensation super bizarre, mais finalement l’art c’est faire passer des émotions et là c’est réussi.
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Bouleversant.
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Avec cette collaboration avec Laurent Bonneau et son graphisme si particulier, Jim atteint une autre dimension dans son récit beaucoup plus profond qu'auparavant. Il humanise ses personnages mais va encore plus loin dans le ressenti des situations dramatiques.
La perte d'un être cher est toujours assez difficile à supporter. Son personnage principal Benjamin se cherche une quête afin d'exorciser ses démons et sans doute sa grande peine. Cela paraît futile à première vue mais ce n'est qu'apparence.
Après un départ assez tonitruant, j'ai failli lâcher à cause d'une broutille qui m'a un peu titillé dans le déroulement plus qu'improbable de ce récit. Comment une jeune et belle inconnue se laisse approcher aussi facilement après avoir été suivie et donner un coup à notre jeune sculpteur névrosé ? Je me suis tout de même accroché et c'est vrai que la suite a plutôt été convaincante et immersive. Quelques fausses pistes ont pimenté un peu le tout.
La conclusion de cette histoire d'amour est poignante à souhait. Il est vrai que le thème traité semble assez délicat. J'ai bien aimé l'originalité de cette mise en scène sur quelque chose de finalement assez classique. C'est tout l'art de savoir raconter un récit sans ennuyer le lecteur dans des considérations philosophiques. Peu d'auteurs y arrivent à ce niveau sans jouer sur les cordes de la sensiblerie. Le talent résulte véritablement de cette association d'auteurs que je n'avais pas vu pourtant ensemble tant les univers peuvent sembler éloigné.
Les dialogues tout comme les silences peuvent en dire beaucoup dans cette quête étrange et salutaire à la fois. Certes, il y aura les doutes et la culpabilité du survivant mais il y aura également le fait d'avancer et de tourner la page. La vie continue malgré tout.
Au final, l'étreinte est une bd qui peut marquer et qui ne laissera pas le lecteur indifférent dans l'intensité de son message de rédemption.
Quand apparaissent sur une même couverture les noms de Jim et de Laurent Bonneau, l’alliance semble a priori surprenante. Le premier est un auteur à succès prolifique avec 90 albums au compteur, en tant que scénariste ou dessinateur, allant de la bd d’humour à la bd de mœurs. Le second, poly artiste plus confidentiel, est à la fois photo-vidéaste, peintre et bédéiste. Tous deux souhaitaient travailler ensemble depuis longtemps mais ne trouvaient pas de voie/ voix communes. C’est désormais chose faite avec une œuvre expérimentale et ô combien réussie : « L’Etreinte » parue aux éditions Bamboo dans la collection grand Angle dont la musique intimiste ne saurait vous laisser indifférents.
C’est l’histoire d’un sculpteur prometteur, Benjamin. Il vient de passer de belles vacances à Cadaquès avec sa femme Romy. Sur le trajet du retour, alors que Romy est au volant, il fait défiler sur son téléphone les photos prises durant le séjour. Il s’arrête sur un cliché pris sur une petite plage au centre duquel une femme énigmatique est allongée sur le ventre, en train de lire. Cette inconnue le subjugue, il apprécie son attitude gracieuse qui semble l’inviter à la sculpter. Et puis soudain, il entend un crissement de pneu et relève la tête juste à temps pour voir une voiture les percuter de plein fouet.
Quand il se réveille à l’hôpital, il est miraculeusement indemne. Sa compagne, elle, est plongée dans le coma. Les jours puis les semaines passent … les nouvelles ne sont pas bonnes. Pour tromper l’attente insupportable, Benjamin se raccroche à son art et à la photo de Cadaquès. Il décide de mener une enquête et de partir à la recherche de l’inconnue sur le cliché…
UNE TRAME A QUATRE MAINS
Jim et Laurent Bonneau ont au départ essayé d’œuvrer ensemble sur un projet traditionnel mais, comme ils l’avouent eux-mêmes, le « résultat semblait contraint ». Ils ont donc décidé d’inverser le processus habituel de création et cherché à se surprendre mutuellement. Quand traditionnellement l’écriture précède le dessin et le borne, ils ont opté pour l’inverse : le dessin suscite l’écriture. Ils se sont lancés sans plan de départ et sans contraintes. Laurent Bonneau a apporté au projet son envie de mettre en scène son ami sculpteur Olivier Delobel à qui il avait déjà consacré un court métrage « Chaque jour je me réveille » en 2014 et une série de 66 portraits lors d’une récente exposition. Il l’a ainsi « croqué » en train de marcher, de sculpter, de téléphoner ou de prendre sa voiture… Jim a choisi, quant à lui, d’y faire figurer un cliché pris à la volée avec son portable lors de vacances en Catalogne : celui d’une femme inconnue lisant sur la plage dans une attitude presque posée. Ces deux arcs narratifs sont d’ailleurs mis à l’honneur sur les couvertures : la photo de Jim pour l’édition classique et le sculpteur et ses œuvres pour l’édition limitée.
Reprenant finalement le jeu du cadavre exquis littéraire, Bonneau et Jim ont beaucoup échangé et ajouté d’autres éléments : un accident de voiture, des références cinématographiques, des rencontres, une narration en voix off à la première personne… Dans un fécond « ping-pong » artistique tissant peu à peu la trame de l’œuvre, les deux auteurs agissent finalement comme des sculpteurs qui taillent le marbre et dégrossissent sans savoir par avance ce que donnera la pierre.
« LE CŒUR DES HOMMES »
Malgré leurs apparentes différences, Jim et Bonneau partagent dans leurs œuvres le goût pour l’intime et des thématiques communes. Ainsi, ils dressent dans « Une nuit à Rome » et « On sème la folie », le portrait d’une bande adulescents qui peinent à grandir.
Dans les albums où Bonneau officie en tant qu’auteur complet, il affectionne comme Jim le monologue intérieur et les longues tirades introspectives entre amis. On retrouve cela dans le mode narratif choisi pour « l’Etreinte ». Une grande partie de la narration est prise en charge par le monologue intérieur de Benjamin et ses dilemmes et remords apparaissent grâce à ses conversations imaginaires avec Romy. Comme souvent dans les albums de Laurent Bonneau on a aussi de longues séquences muettes qui invitent le lecteur à s’immiscer et à donner son interprétation. Ceci permet alors une plongée dans « le cœur des hommes »…
Enfin, on retrouve ici comme dans « Le Regard d’un père », une réflexion sur la transmission et sur le rôle consolateur et mémorial de l’art. A travers les références à des artistes mythiques d’abord : Dali et Gala, Chagall et Bella, grâce ensuite à l’exposition de Benjamin consacrée à Romy qui lui offre une vie prolongée et démultipliée grâce à la reproduction obsessionnelle de bustes d’elle à des âges différents mais également grâce à la démarche plus « amateur » du mari de Marie Yvonne qui l’a immortalisée tout au long de leur vie commune dans des clichés publiés à compte d’auteur. Sur les planches originales de « l’Etreinte » avant la mise en couleur par ordinateur, on remarque l’utilisation de la bichromie : la voiture accidentée et les sculptures sont dessinées au crayon rouge et cela crée des connections souterraines. L’art apparaît donc comme un moyen pour Dali, Chagall, Benjamin, Jean-Jacques, Jim et Bonneau de figer le temps, d’immortaliser et même de redonner vie dans une tentative - peut-être dérisoire - de contrer la mort.
LES CHOSES DE LA VIE
Les deux auteurs abordent en effet tous deux le thème du deuil et du manque dans « Où sont passés les beaux jours » et « Le regard d’un père ». Mais ce qui sous-tend profondément leurs albums c’est aussi le « memento mori ». Sans dogmatisme et sans emphase, ils rappellent chacun à leur façon, la fugacité de la vie et l’importance de profiter des « Beaux moments » et de dire à ses proches qu’on les aime avant qu’il ne soit trop tard. C’est l’un des leitmotivs de ce dernier album. Et c’est ce que souligne la référence aux « Choses de la vie » de Sautet dans la scène onirique et traumatique de l’accident. A la manière du cinéaste, Bonneau et Jim s’intéressent aux choses anodines et fugaces dont on ne perçoit l’importance qu’une fois qu’on les a perdues…et ils soulignent , comme lui, particulièrement à la confusion et à la complexité des sentiments qui sont formidablement retranscrits dans les dialogues, les non-dits et les visages expressifs des personnages. C’est peut-être un hasard également mais juste avant la parution de ce dernier opus, un film de Lionel Bergery s’intitulant lui aussi « L’Etreinte » est sorti avec une Emmanuelle Béart campant une veuve qui n’arrive pas à faire son deuil et à s’autoriser à vivre.
Si le livre renferme des références cinématographiques car Jim est un grand cinéphile, il ne faudrait pas non plus oublier que les deux artistes sont également vidéastes. Après plusieurs courts-métrages, Jim met enfin en scène son premier long, « Belle enfant » et la façon dont l’album a été construit s’apparente aux techniques du 7e art. Il fonctionne en effet par séquences tournées - pardon dessinées ! - dans un ordre complètement différent du montage final effectué par le scénariste. Certaines scènes « coupées » apparaissent même en appendice de l’édition limitée de Canal Bd comme autant de « bonus » dans un DVD. Le découpage et le graphisme de Laurent Bonneau vont dans ce sens également : il aime dessiner d’après modèle vivant et fait ses castings à la manière d’un réalisateur. Il a d’ailleurs commencé par filmer son ami sculpteur dans les rues de Cadaquès pour le mettre en situation et ses crayons virevoltent comme une caméra. Il multiplie les angles de prise de vue et les plans et pratique souvent le travelling avant ou arrière pour donner du dynamisme aux conversations tandis que la multiplication de gros voire très gros plans permet au lecteur d’entrer en empathie avec le héros.
Et puis il y a un côté charnel et incarné qui renvoie également au 7e art. Laurent Bonneau qui a publié un recueil de croquis intitulé « Corps », s’intéresse particulièrement à la représentation des corps. Dans la palette restreinte de couleurs qu’il utilise dans l’album, ressort le pêche couleur peau : cette peau omniprésente et tant absente dans la quête du héros … Tel un chef opérateur qui choisit ses éclairages pour créer des ambiances et des atmosphères, Bonneau introduit des échos grâce aux couleurs. Le rouge est associé en permanence à Benjamin : rouge du sang de l’accident, rouge de la honte, rouge de la colère, rouge de l’amour aussi, rouge comme cette « fleur de chair » qu’est le cœur … et le réalisme se mue alors en poésie.
« L’Etreinte » c’est donc un choc narratif et graphique et une expérimentation réussie,
« L’Etreinte » c’est un livre aux thème universels qui nous oppresse mais en même temps nous fait du bien,
« L’Etreinte » c’est un album qui rappelle l’essentiel,
« l’Etreinte » c’est une petite musique mélancolique interprétée par un duo de virtuoses,
« L’Etreinte » c’est aussi une anagramme d’éternité … mon coup de cœur de ce début d’été !
Pour moi le meilleur album de cette année. Les planches de Laurent Bonneau sont exceptionnelles de justesse, il y a peu de discours, tellement les images parlent d'elles même. Les couleurs de Cadaques sont d'une justesse telle que l'on retrouve la luminosité exceptionnelle de cette ville. L'album fait 300 pages, aucune n'est de trop. Le scénario est juste, tout en finesse sur un sujet difficile et casse gueule. Un vrai bel album de bd, merci aux auteurs pour les émotions qu'ils ont provoquées. Fabrice
J'avoue avoir acheté ce one shot sur le seul nom de Jim, auteur que j'adore, sans avoir fait attention au nom du dessinateur, Laurent Bonneau que j'ai découvert à cette occasion, avec un certain plaisir.
Dès les premières pages, j'ai tout de suite songé au film "les choses de la vie", tant les similitudes se rapprochaient, jusqu'au prénom de Romy, héroïne malgré elle de cette très belle histoire.
D'ailleurs les auteurs ne cachent pas cette référence dans le dossier de l'édition canalbd, édition superbe avec signet et limitée à 1200 exemplaires.
Si le dessin de Laurent Bonneau peut déstabiliser certains comme moi, à la première approche, il s'avère d'une efficacité redoutable au fil de la lecture. Son dessin est certes très éloigné des albums que signe Jim en tant que scénariste, mais je suis resté scotché par son talent.
Il faut dire que cette histoire est basée sur ce qu'on appelle sur le principe du "cadavre exquis" où, en l'espèce le scénariste s'inspire du dessin pour imaginer une histoire..
J'ai été assez séduit par cette recherche de cette inconnue prise en photo sur une plage, alors que la femme de Benjamin, jeune sculpteur, est dans le coma.Le récit est très émouvant, sans fausse note, et au final nous prend aux tripes. Jim aborde ici ses thèmes de prédilections, la vie, la mort, le sens de la vie, l'envie sur des planches de Laurent Bonneau, qui subliment le scénario de Jim.
Je vous invite à lire cet album de 300 pages, qui peut vous amener jusqu'aux larmes.
Je regrette que cet album, qui pour moi s'avère un des meilleurs de ce premier semestre 2021, sorte à une période assez creuse voire reste inaperçu en cette fin de saison. Curieux choix de l'éditeur, alors que ce one shot méritait une meilleure exposition éditoriale..
En tout cas, cet album mérite toute votre attention, tant il est remarquable aussi bien sur le scénario que sur le dessin.
A lire et à relire.
Remarquable à tout point.