A
ccompagné de son ami de traversée, Tonio débarque à Ellis Island, l’antichambre de l’Amérique. Mais le handicap de sa jambe dissuade une administration labyrinthique et corrompue de lui accorder le laisser-passer tant convoité. Il doit rester sur l’île, à regarder les navettes successives emmener les prétendants à la fortune vers New York. Vitto, Italien comme lui, avocat véreux, évoque un recours possible. En attendant, Tonio devra lui rendre de menus services, qui deviendront au fil des semaines des missions de plus en plus dangereuses et répréhensibles.
Le Rêve américain, deuxième et dernier tome d’Ellis Island, s’ouvre sur l’engrenage dans lequel le héros a été happé. Ce dernier vit caché avec Giuseppe, un petit garçon muet et un homme qui attend inlassablement l’amour de sa vie. Il pense à la belle Nadia qui doit venir le rejoindre. Loin, en Sicile, les discussions vont bon train sur la façon d’employer l’argent envoyé par Tonio. Son frère Fabio, à la moralité douteuse, pétri lui aussi de rêves américains, tourne avec insistance autour de Nadia. De part et d’autre de l’Atlantique se trament des intrigues, se scellent des secrets, grandissent des ambitions. Tous les ingrédients sont réunis pour que les serres de la tragédie se referment sur les personnages.
Ellis Island ne cesse de fasciner. Porte d’entrée administrative et symbolique de l’Amérique de 1892 à 1954, lieu clos, pulvérisant ou concrétisant les espoirs de milliers d’Européens, après un périple transatlantique éprouvant et coûteux, l’île concentre les envies, les frustrations et les convoitises d’aventuriers prêts à tout pour accéder au Nouveau Monde. Elle devient ainsi un terrain fertile pour les fourbes de toutes sortes. Ce sera aussi le théâtre de dénouements dramatiques, de retrouvailles émouvantes ou de règlements de compte définitifs.
Le scénario de Philippe Charlot (Les Sœurs Fox, Gran Café Tortoni) construit des entrelacs entre vélléité de réussite sociale et amours délaissées, manigances italiennes et escroqueries américaines. L’amitié, les promesses et les trahisons ponctuent le récit, provoquant des rebondissements passionnants. Miras (Harmonijka, Un Western dans la poche) donne vie avec clarté et élégance à ces tensions. Réaliste dans les décors, expressif pour les visages, son trait libère les ressentis et pose les ambiances avec à-propos.
Ce diptyque, tout en illustrant un épisode majeur de l’histoire contemporaine, donne vie à des personnages attachants, aux prises avec leurs ambitions et leurs contradictions, définitivement humains. C’est une véritable réussite.
Critique pour l’ensemble de la série : À travers l’histoire d’un jeune Italien qui subit le fonctionnement d’un système d’immigration injuste et celui de la mafia des deux côtés de l’Atlantique, nous en apprenons un peu plus sur Ellis Island, lieu majeur de l’histoire américaine. Ce diptyque bien narré et au dessin agréable n’apporte pas de révolution majeure au récit d’aventures. Dans l’ensemble, cela se révèle une lecture agréable (avec une mention spéciale au cahier historique de la fin du premier tome), dont les moments forts peuvent éventuellement rester en mémoire sans que l’histoire au complet ne soit particulièrement marquante.
J'avais espéré lors de ma lecture du premier tome que le récit décollerait un peu mais ce n'est pas vraiment le cas dans ce second tome qui vient clôturer le tout. Le rêve américain est à peine effleuré car on ne quittera pas cette île au large de New-York.
Je vais passer le fait que les autorités américaines laisse croître un trafic d'influence sur ce territoire entre flics et douaniers véreux et filière mafieuse. Le scénario a vraiment de la peine à convaincre le lecteur que je suis. La fin sera d'ailleurs assez difficile à avaler.
Pour autant, on comprendra que le mécanisme de l'immigration repose sur le fait que l'arrivant doit fournir une certaine quote-part à son pays d'origine pour leur permettre de survivre. C'est un phénomène que l'on rencontre encore de nos jours avec l'argent envoyé au bled.
Graphiquement, c'est toujours une belle réussite. La lecture reste toutefois assez agréable. On découvre qu'il n'est guère facile d'être un migrant dans un contexte d'arrivée parfois très difficile où il est exploité voire instrumentaliser.