C
e n’est pas compliqué : avant, c’était le Café de la fontaine, celle-ci a été démolie quand la rue a été élargie. Alors, maintenant, c’est le Bistrot d’Émile, car c’est Émile qui l’a racheté. Un rigolo et un futé cet Émile, même si c’est un gars d’ailleurs, il a réussi à mettre toute la bourgade dans sa poche. Il faut dire qu’il est toujours de bonne humeur et qu’il offre sa tournée plus qu’à son tour. On dit même qu’Annie, la coiffeuse, ne serait pas indifférente, mais ça, ce sont des ragots. Allez, je dois y aller, c’est l’heure de l’apéro.
Bruno Heitz est de retour avec une nouvelle série sentant bon la province des années soixante. Lien naturel entre les enquêtes rurales d’Hubert, le détective à la cambrousse et les polars seventies mettant en scène Jean Paul, Les dessous de Saint-Saturnin se concentre sur une petite ville du sud de la France et ses habitants. Pas de véritable héros ou de MacGuffin à soulever et à traquer, juste un coin de pays à raconter et à voir évoluer avec son époque (ici, l’arrivée d’une certaine modernité qui chamboule des habitudes profondément ancrées). Nostalgie ou peinture anthropologique ? Un peu des deux mon capitaine, mais surtout énormément de tendresse et d’empathie pour cette distribution que ne renierait pas Pascal Rabaté ou Étienne Davodeau.
Honneur au point central de toute agglomération qui se respecte, Le bistrot d’Émile, comme son titre l’indique, se concentre sur le bar-tabac favori du lieu. Dès la première page, la magie de Heitz est immédiatement palpable, une anecdote pour démarrer et hop, l’action (façon de parler, ce n’est pas Paris, les choses savent prendre leur temps) démarre sans coup férir. Pas vraiment d’intrigue, un suspens quasi-absent et des enjeux minimalistes, qu’est-ce que l’auteur raconte en fait ? Le plus important voyons ! L’invisible et si fragile tissu social, le noyau même de ce qui compose la vie en société. D’ailleurs, il suffira d’un seul grain de sable pour le voir se déliter quasiment instantanément, sans que ce soit vraiment la faute à personne pour autant.
Graphiquement, le style du dessinateur n’a pas bougé d’un iota et la douceur de ce trait rondouillard sis au seuil de l’art naïf fonctionne toujours aussi agréablement. Il confère une patine et une atmosphère incomparable à ce récit fait de petits riens et de poésie péri-urbaine. La justesse du dessin tient particulièrement dans sa force d’évocation et sa facilité d’accès. Pas de détails photographiques, ni de retranscription ultra-fidèle et figée d’images connues. À la place, une recréation totalement libre et suffisamment précise afin que tel véhicule emblématique ou telle publicité «vintage» d’un produit aujourd’hui disparu soient aisément reconnaissables. Léger et sans chichi inutile, le résultat est simplement vivant et vibrant d’authenticité.
C’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures confitures, Bruno Heitz l’a bien compris et revient avec une histoire comme seul il sait les imaginer. Oui, certes, le scénario pourrait être mieux boulonné et quelques facilités évitées, mais à quoi bon finalement ? Autant laisser le charme agir, ça tombe bien, ce premier tome des Dessous de Saint-Saturnin en a à revendre.
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