A
près une première collaboration fructueuse pour La Petite Bibliothèque des Savoirs (Le Lombard) avec le tome sept, Le Féminisme, Anne-Charlotte Husson (scénario) et Thomas Mathieu (dessins et couleurs) s'attaquent aux raisons des mouvements « anti-genre ».
Dans la continuité des articles en ligne de l'autrice, le duo s'intéresse donc aux polémiques que les discussions sur la question ont soulevées. Et il y a matière tant le sujet a fait la Une de l'actualité déclenchant des réactions souvent disproportionnées et excessives sur fond de mauvaise foi ou de méconnaissances. Justement, la scénariste revient sur les termes et les idées reçues pour démontrer que le dialogue, fermé dès le départ, n'avait aucune chance d'aboutir, tant les buts de chaque « camp » étaient différents. D'un côté, la peur de voir son référentiel disparaître et de l'autre, l'envie de remettre en cause l'ordre établi qui débouche sur des injustices.
Volontairement à charge, l'album décortique notamment les méthodes des conservateurs pour diaboliser la fameuse « théorie du genre » qui serait enseignée à l'école dans le but de détruire l'archétype familial hérité de notre société catholique. Reprenant les concepts et les définitions, les auteurs expliquent en quoi une segmentation homme-femme n'a pas forcément de valeur absolue et peut (doit ?) être questionnée. En citant différentes cultures, en rappelant diverses périodes voire en observant d'autres espèces que l'être humain, ils battent en brèche l'idée d'un découpage naturel et intemporel. Si les différences biologiques n'ont pas à être niées, pourquoi devraient-elle dicter une sexualité ou un genre binaire et, a fortiori, de créer des inégalités ? Si la jupe ou le rose sont le propre de la Femme, où placer les kilts, les soutanes, les djellabas, les sherwanis etc... ? Et que penser des rois ayant vécu avant « la Pompadour » ? De tels exemples, et bien d'autres plus élaborés et significatifs, remettent en perspective l'influence culturelle (et donc sociétale) dans l'acceptation courante des termes et des normes contemporaines. Ils rappellent ainsi qu'avant de s'agiter en criant au scandale pour tout rejeter en bloc, écouter les questions et y réfléchir ensemble ne serait pas une mauvaise idée...
Toutefois, la forme n'est pas aussi aboutie que le fond est intéressant. Malgré l'application de Thomas Mathieu pour fournir des planches claires et souligner au mieux le propos, la lecture n'est pas fluide et l'angle choisi - celui d'une démonstration un peu scolaire - rend la lecture par moments fastidieuse. Pour convaincre et élargir le public à celui, de plus en plus large, de la bande dessinée, un fil directeur plus marqué et une utilisation pleine des codes narratifs propres à la bande dessinée (un suspense en bas de page, des planches sans texte qui racontent autant que les nombreux textes etc) aurait apporté une plus-value appréciable. Sans véritablement démériter, la partie graphique semble suivre le propos plutôt que le transcender ou le rendre plus audible.
Ces dernières années, la question de la bicatégorisation et de la non-binarité a envahi l'espace publique et c'est tout naturellement que le neuvième Art s'en empare. Malheureusement, le sujet aurait mérité plus de place afin de profiter pleinement du médium pour que le résultat soit à la hauteur de l'ambition. Néanmoins, à défaut d'être une BD totalement convaincante, Le genre, cet obscur objet du désordre apporte une vision essentielle à un édifice qu'il faudrait reconstruire pour le bien de tous.
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