A
h, refaire le match avec des amis après le coup de sifflet final, c’est presque aussi important que la partie en elle-même. Encore plus si c’était une défaite injuste due à des erreurs d’arbitrage. Dans le domaine, le France – RFA du 8 juillet 1982 en demi-finale de la coupe du monde est peut-être la plus emblématique tragédie footballistique hexagonale. Suffisamment pour marquer une génération entière et que la sortie hasardeuse (l’odieux attentat selon certains) de Schumacher sur Battiston continue de révolter, même après le millième visionnage ? Oui, certainement, mais la mémoire collective, c’est plus compliqué que ça.
L’histoire de Mon album Platini débute étrangement le 2 juin 1985 à Stuttgart, quand l’auteur/narrateur se fait renverser par une automobile alors qu’il courait imprudemment pour récupérer un ballon shooté trop fort en dehors du terrain. Boum, traumatisme crânien et fractures diverses ponctués par quatre jours de coma et une série de rêves impliquant le drame du Heysel alors tout récent. De quoi faire réfléchir sur sa passion et les bienfaits du sport en général. Près de quarante ans après cet accident, Sylvain Venayre tente de recoller les morceaux de sa psyché et élargit son propos en mettant en perspective sa perception avec celles des supporters des Bleus d’hier et d'aujourd'hui. Pour cet ambitieux programme, il convoque à ses côtés pas moins que Sigmund Freud et Thierry Roland, sans oublier le joueur emblématique de l’époque, Michel Platini en personne.
Chronologie explosée, sauts temporels incessants, rappels historiques, analyses psychologiques, mises en abîme continuelles et piques d’humour, le scénariste fait feux de tout bois et entraîne le lecteur dans un véritable tourbillon narratif. Pourquoi la défaite de Séville est-elle si marquante alors que tout le monde a oublié l’humiliation de 1978 (élimination sans gloire au premier tour en Argentine) ? Et la victoire à l’Euro en 1984, pourquoi n’a-t-elle pas pris le dessus dans les esprits ? Les mécanismes et la manière dont certains évènements migrent de génération à génération et d'autres pas sont également explorés. En effet, même pour ceux qui n’étaient pas nés en 1982, cette funeste rencontre est devenue une pièce centrale de tous les parcours des adorateurs du ballon rond.
Le résultat donne un ouvrage assurément étonnant et foisonnant, mais totalement abordable et soulevant une foule d’éléments pertinents sur la création des légendes, leurs modifications et leur permanence dans le temps. Peut-être moins enthousiasmantes, les illustrations de Christopher se montrent un peu trop figées pour retranscrire toute l’énergie et la fougue de ces confrontations homériques. Cette ligne claire trop propre est heureusement contrebalancée par une mise en page énergique et souvent imaginative (incrustations, schématisations, changements de point de vue, etc.).
Œuvre riche et multiple, non dénuée d’une verve sympathique discernable dès son titre, Mon album Platini est une lecture enthousiasmante qui arrive parfaitement à lier sérieux (le mémoriel) avec le récréatif (le football).
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