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layfield, sud des États-Unis, début des années soixante. Au cœur du « Dixieland », il ne fait pas bon être différent et vouloir s’échapper des préjugés en place. Toland en est parfaitement conscient. Homosexuel, le jeune homme sait qu’il doit rester discret pour ne pas s’attirer des ennuis. Heureusement, il peut compter sur une poignée d’amis fidèles pour l’accompagner et le soutenir. Diverses rencontres vont lui faire prendre conscience de la situation invivable des Noirs dans son pays. Mis à l’écart par des lois ségrégationnistes, ceux-ci sont aussi obligés de vivre en marge avec la peur continuellement au ventre. Racisme, homophobie, misogynie, bigoterie… l’heure de la lutte pour les droits civiques a sonné et c’est décidé, Toland en sera !
Sorti en 1995 (2001 en France, sous le titre Un monde de différence), Stuck Rubber Baby avait eu l’effet d’une bombe dans le paysage de la bande dessinée. Howard Cruse racontait en mode auto-fictionnel sa jeunesse et mettait en relation sa trajectoire – plus largement celle des homosexuels – avec le combat des Noirs à l’intérieur d’une Amérique n’ayant toujours pas accepté le contrat social hérité de la guerre de Sécession. Plus de vingt-cinq ans après, même si des progrès ont été réalisées, les tensions sont encore bien vivaces. Droits de la personne bafoués, respect des minorités chancelant, il n’est pas rare qu’une rue, un quartier ou toute une ville s’embrasent à la suite d’un incident mal géré par des forces de l’ordre souvent dépassées. Si les « stories » sont maintenant diffusées sur internet en quasi-direct, elles ne font que répéter ce qu’avait décrit si méticuleusement Cruse dans son chef-d’œuvre. Un éternel recommencement ? Non, juste un rappel salvateur à propos de l’importance de rester vigilant et de ne jamais s’habituer ou supporter l’intolérable.
À l’image d’un autre livre emblématique, Maus d’Art Spiegelman pour ne pas le citer, Stuck Rubber Baby n’est pas un ouvrage improvisé ou de réaction à chaud. Il s’agit d’un projet mûrement réfléchi qui, dans les faits, était en gestation depuis des décennies. C’est également le fruit du travail d’un artiste mûr qui a vécu et beaucoup expérimenté. En effet, quand Cruse entame l’écriture de son récit, ça fait longtemps qu’il n’est plus un débutant. Il œuvre dans le monde des comics alternatifs depuis un quart de siècle et est considéré comme un des fers de lance de la BD gay américaine. Il lui faudra près de trois ans de documentation et un labeur acharné afin de mener à terme sa pensée de départ. Décors, costumes, références diverses et variées, rien n’a été laissé au hasard, car il fallait impérativement que tout sonne juste. Ce matériel en main, le plus dur restait à faire : donner vie à ce microcosme sans trahir le cœur du message et ceux qui lui ont inspiré les différents protagonistes.
Deux cents pages plus tard, la mission s’avère merveilleusement réussie . Noir et blanc charbonneux devenant soyeux grâce à un encrage quasi-névrotique, une mise en scène ouverte jouant un rôle actif dans la narration (Joe Sacco n’est pas loin) et un amour plus que tangible pour ces personnages de papier tellement vivants et humains rendent la lecture prenante et agréable. D’ailleurs, il est difficile de ne pas se sentir touché par ce petit groupe sympathique et de trembler avec lui quand la police lâche ses chiens ou ramène la « paix » à coups de matraque.
Tour de force graphico-narratif mêlant constamment intime et sociétal, Stuck Rubber Baby est fascinant à tous les points de vue. C’est aussi et avant tout un témoignage indispensable sur une époque pas si lointaine et malheureusement pas totalement révolue.
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