L
e personnage principal est une boule rouge, hérissée d’épines, au sourire plein de morgue, au regard cynique. Sa ressemblance avec toute représentation de virus n’est pas fortuite. Elle s’appelle L’Anxiété et ne lâche pas l’individu sur lequel elle a jeté son dévolu. Elle apparaît dès l’école et ne s’en va plus. Elle devient le parasite de tous, homme, femme ou enfant. Surgissant dans des situations banales, à coup de phrases assassines, elle anéantit son hôte : « Tu sais combien de calories il y a, là-dedans ? », « Quelque chose de terrible va arriver, c’est sûr » ou « Tu ne devrais pas douter comme ça… bien sûr que tu n’y arriveras pas ». Au fil des jours et des pages, la personne s’englue dans la culpabilité, la mauvaise conscience, la dramatisation, la peur, le doute, la fatalité du malheur, les regrets ou la tentation. La bulle écarlate est omniprésente, oppressante et écrasante ; elle pourrit la vie de tout le monde.
Alberto Montt, natif de l’Équateur mais résident au Chili depuis 1998, s’est d’abord illustré dans le design et l’illustration pour la presse. Depuis 2007, il publie quotidiennement un dessin sur son blog. Auréolé de plusieurs prix et d’un incontestable succès sur le continent sud-américain, il intègre les Éditions Ça et Là, qui publient Roucou (roman graphique – 2018), Fichtre (2019) et J’adore mon chat (mais il s’en fout complètement) en 2020. Adepte des saynètes, des anecdotes et de la concision, il s’est forgé un style percutant et dense, aux implicites nombreux.
Ses strips contiennent entre une et six cases, aux dialogues parfaitement ciselés et économes. Le dessin, dépouillé et extrêmement expressif, à la colorisation simple, réalise le tour de force de mettre en scène et de donner à voir les sentiments, soit l’irreprésentable. La personnification de l’anxiété est exploitée jusqu’au bout. Les scènes présentent uniquement un personnage et la chose vermillon. Le reste du monde n’est pas présent, il est seulement suggéré. Ainsi s’exprime, de manière impitoyable, la solitude de la victime. Au fur et à mesure de leur défilement, les pages entraînent vers un rire moins franc, vers un sourire un peu crispé, car il n’y a pas d’happy end à attendre. Éventuellement le soulagement de n’être pas le seul concerné. Tranches de vie, fulgurances humoristiques, vecteur thérapeutique, quelle qu’en soit l’approche, cette lecture est hautement conseillée. À lire, à feuilleter, à picorer, à parcourir, à l’endroit, à l’envers, dans le désordre, Anxiété chérie mérite plus que de l’attention. « Comment va ton anxiété, aujourd’hui ? » demande ironiquement l’auteur. Bien… elle va bien.
Poster un avis sur cet album