L
e rat Victor est un conteur hors pair. En quelques phrases, il résume la libération du forçat Jean Valjean du bagne de Toulon et sa déambulation l’amenant à Dignes. Là, en 1815, le prisonnier s’offre une soirée arrosée avec un homme d’église. Au petit matin, il dérobe un écran plat à cet évêque et fuit la ville. Le réveil est compliqué pour l’ecclésiastique (c’est que la périgourdine provoque un mal de cheveux même aux tonsurés). Avant de s’en aller évangéliser une ZAD, il accorde son pardon rédempteur au voleur à condition que le malfrat embrasse désormais le bien. Quant à Fantine, c’est une belle jeune fille rêvant de mariage et de ventre fécond – une mission à la hauteur du bourgeois de province Félix Tholomyès, qui l’engrosse et la quitte aussitôt afin de répondre à l’appel de la conquête d’autres greluches. Cosette voit le jour six mois après le départ de son géniteur. Sa mère est célibataire et sans le sou. Elle confie donc la petite à la famille Thénardier en contrepartie d’une somme rondelette. Ces derniers dirigent le camping municipal de Montfermeil. Alors cette gamine, c’est du pain-bénit. Voilà deux bras fort utiles qui vont pouvoir se consacrer au nettoyage des toilettes à la turque. Eh ouais, Cendrillon, ce n’est pas facile la pension !
Éric Salch confronte son talent de caricaturiste au chef-d’œuvre de Victor Hugo (1802 - 1885). Parût en 1862, la fresque romantique et sociale Les Misérables décrit la France des laissés-pour-compte, au XIXe. Ce monument de la littérature a été fortement critiqué lors de sa publication. Pourtant, plébiscité par ses lecteurs, le récit est devenu un ouvrage populaire dont les exégètes ne dénombrent plus les adaptations.
Né en 1973, l’illustrateur est un spécimen d’exception, mélange de mauvais goût et de transgressions. Auteurs de bandes dessinées hilarantes (attention, c’est inavouable en société), ce banlieusard reste fidèle dans les grandes masses à l’œuvre originale. Néanmoins et c’est heureux, il vulgarise le propos avec une prose qui ne sera pas qualifié de modèle de subtilité. En effet, le dessinateur de Charlie Hebdo maltraite les personnages principaux du roman, se moque de la pauvreté et ne refuse pas l’obstacle d’aborder les thèmes polémiques du moment. Son œil acéré sur l’actualité le conduit à traiter avec délectation de la migration, du mouvement black lives matters, des gilets jaunes, de l’équipe de football de Dortmund, des motos Yamaha YZ 125, d’un virus propagé par un super-excréteur, des amendes à cent trente-cinq francs et surtout des sandwicheries grecques (bon appétit!).
Artiste à l’humour féroce, Salch crayonne sous la sainte influence de Jean-Marc Reiser. Il va ainsi à l’essentiel adoptant une mise en scène épurée et insolente. Il croque en trois traits, d’un geste jeté et sans repentir. Peu importe la beauté du rendu, pourvu que le lecteur se décroche périodiquement la mâchoire. À côté de cela, sa colorisation rapproche son travail de celui de Vuillemin. Pour cette transposition, il joue de la temporalité en rehaussant tantôt son étude à l’aquarelle et tantôt au lavis. Une nouvelle fois, son approche est simple. Les pigments semblent peu mouillés et le blanc du papier ne provoque pas de contraste lumineux. Les teintes scindent les plans et orientent le regard. Mais elles ne visent pas à embellir la vignette par de quelconques fioritures. C’est son héritage de la ligne crade ! Plus inattendue, certaines séquences sont entièrement exemptes de colorisation. L’auteur se risque à noircir ses planches de hachures. Il propose une nouvelle voie narrative à la copie sombre, dont les meilleures cases prennent l’aspect de la couverture - une technique intéressante à l’avenant du discours polisson !
La version (très personnelle) de Salch de l’ouvrage Les Misérables, constitue une invitation au voyage au pays de l’impertinence et de l’irrévérence. Malsaine, clivante, impolie et endiablée, la gauloiserie s’affiche comme un indispensable de cette année 2021 !
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