S
i la censure limite votre droit à la libre expression et ne vous permet pas de dire la vérité, rien ne vous oblige cependant à écrire ce que vous ne pensez pas ? En théorie, oui ! Sauf que, si vous êtes journaliste… il vous faut bien faire bouillir la marmite. Quitte à laisser vos illusions au placard !
Décidément l’univers journalistique attire Teresa Valero qui ,après les journaux de charme outre-Atlantique Gentlemind, revient sur le vieux continent explorer les arcanes de la presse populaire sous Franco.
Que personne ne s’y trompe, si Contrepaso possède des airs de thriller, son propos est ailleurs et plonge directement dans les tréfonds d’une société qui a accepté de gommer quarante années de son passé en ce mois d’octobre 1977 en amnistiant aussi bien les bourreaux que les victimes. Mais, près d’un demi-siècle après la mort du Caudillo, une loi ne peut dissuader quiconque de chercher à comprendre !
Pour l’occasion, l’autrice Ibère prend - à l'instar des reporters de l'époque - des voies détournées pour aborder des sujets qui aujourd’hui encore s’avèrent sensibles ! L’eugénisme, le silence des démocraties occidentales d’alors face au régime franquiste, la répression et les tortures qui en découlèrent, les privations de liberté surtout pour les femmes, le poids et le silence de l’Eglise… sont traités avec profondeur au travers d’une enquête qui se révèle bien moins anodine que les autorités voudraient le laisser croire. Pour ce faire, la scénariste de Curiosity shop multiplie les intervenants et les axes narratifs, fouille l’iconographie de l’époque pour la retranscrire méticuleusement, recherche des témoignages pour crédibiliser son récit et restituer ainsi chacune des composantes de la dramaturgie espagnole. Loin de saturer son auditoire, Teresa Valero le captive en faisant œuvre de son expérience passée dans l’animation afin de dynamiser sa mise en page comme son dessin. D’aucuns auront le souci de lui trouver quelques affiliations connues, certes, mais ne serait-il pas temps de l’en affranchir et de la considérer pour ce qu’elle : une scénariste et une dessinatrice accomplie et de de talent. Il suffit pour s’en convaincre d'admirer ses planches réalisées sous Clip Studio !
Les enfants des autres consacre Teresa Valero, il ne reste plus qu’à attendre le second volet… puisque le contrat serait signé !
Espagne 1956... Dur d'être un journaliste de faits divers lorsque le régime impose que tout se passe bien dans le meilleur des régimes politiques, les déviants ayant été mis au pas.
Dans ce contexte, un vieux briscard de journaliste, à qui on adjoint un "petit jeune", est le seul à s'intéresser à un serial killer, la police ayant fait son boulot en arrêtant pour chacun de ces meurtres le premier innocent qui passait dans le coin et l'adressait à la justice qui, autant que faire se peut, le condamnait à la peine capitale. Affaire conclue!
Mais ce nouveau meurtre sur lequel il est appelé est différent. Ce ne sont pas les méthodes du serial killer (quoi qu'en pense la police!). L'enquête des journaleux les oriente vers le milieu de sommités médicales psychiatriques et obstétriques où ils découvrent des pratiques pas très recommandables de traitements contestables et de vols d'enfants.
Voici pour le pitch!
Les dessins sont juste merveilleux, détaillés. les visages sont expressifs à souhait et magnifiquement croqués. Un régal. Et un travail de titan!!!
Le scénario est original, avec des rebondissements et on imagine un gros travail de documentation sur la période.
S'il fallait trouver un point légèrement "négatif", je dirais que le scénario m'a un peu embrouillé par moments. Il faut dire que les 140pages de l'album sont bien occupées et il s'en passe des choses.
Un autre tome est prévu et cela me faisait un peu peur de devoir tout relire pour me remettre dans le contexte une fois celui-ci arrivé. Finalement, je ne pense pas que ce sera nécessaire car on pourrait presque considérer cet opus comme un one shot avec une première enquête réglée et une autre qui démarrerait au second tome, parfaitement "amené" par la dernière page!
J'en serai!!!
Un dessin magnifique, dynamique, beaucoup de soin pour la reconstitution de l'époque, un très bon scénario. Teresa Valero, retenez ce nom !
C'est une époque assez méconnue de l'Espagne franquiste qui est abordée dans cette longue BD. En effet, on voit surtout la guerre civile mais rarement ce qui se passe après leur installation au pouvoir. Là, nous sommes au beau milieu des années 50 alors que la dictature fasciste contrôle tous les médias en entretenant le mythe d'une nation idyllique. Il est vrai que ce beau pays qu'est l'Espagne a bien changé depuis ces sombres années.
On va suivre le quotidien de deux journalistes, un vieux briscard ancien phalangiste désabusé et un jeune romantique idéaliste qui tente de percer des énigmes policières mettant en cause les rouages de ce régime hypocrite. Il ne sera pas facile de dire la vérité et dénoncer les faits. C'est toute la subtilité de cette œuvre. Et la liste des crimes est plutôt longue.
J'ai parfois trouvé ce récit trop dense avec une grande quantité d'informations fournies mais c'est un travail qui reste remarquable et d'une rare intelligence. La lecture ne sera pas aisée d’autant que c’est plutôt long.
Sur le plan de vue graphique, j'ai été plus que satisfait avec des décors et des personnages assez soignés. L'ambiance reste celle d'un polar noir avec tous les codes du genre. Bref, un titre à découvrir qui se déclinera avec une suite traitant d'une autre série de meurtres commis par un tueur en série.
Que c’est dur de parler en quelques lignes d’un album aussi riche, aussi dense, aussi prenant!
Quel travail de @tervalero... on le comprend mieux en lisant le cahier final et la préface de Pierre Christin. Un travail historique énorme et précis, un travail fidèle sur les personnages, les lieux… pour une fiction proche de la vérité !
Le dessin est vif, vivant, expressif (difficile de ne pas penser à Guarnido), les cases sont d’une richesse… trop parfois, on peut s’y perdre dans les personnages, les dialogues… Ce sera là le seul bémol à ce premier tome qui commence par un meurtre et finit par un autre !
Ce roman noir à la sauce franquiste mérite qu’on s’y plonge…. Reste plus qu’à attendre la suite en relisant ce tome 1, sûr d’avoir loupé tant de choses !
Comment dit-on en espagnol ? Flechazo !?
trés bon formidable et tien en haleine, tré bon dessins et couleur Bravo si une suite j'attends avec impatience
Wouaaaah. Enorme surprise, et moment de plaisir intense en dévorant ce gros tome (138 pages !) dévoré d'une traite.
L'intrigue policière est complexe, dense, prenante, mais parfaitement scénarisée pour qu'on ne perde jamais pied. surtout, l'action se déroule dans l'Espagne des années 50, dans un climat où les cicatrices de la guerre civile sont encore bien visibles, aux niveaux collectif mais aussi individuel chez chacun des protagonistes. Il en ressort une ambiance exceptionnelle dans un contexte historique méconnu, et porté par des personnages forts, bien écrits, complexes. Et l'autrice exploite pleinement les 137 pages pour prendre son tempset développer plusieurs actes narratifs qui se croisent et se développent. Franchement, le travail d'écriture et l'intrigue sont remarquables.
Le dessin est lui aussi excellent, dans la même veine que Guarnido (Blacsksad, les Indes pourpres), avec ce dynamisme des mouvements et des visages, cette colorisation typique aquarelle et ce soin du détail.
Au final, un vrai coup de coeur. Je l'ai lu d'une traite, avec un ravissement que je n'avais pas eu depuis "La Bombe". Et, au-delà du plaisir immédiat de naviguer dans cet univers et cette intrigue remarquables, la jubilation de savoir que je tiens là une œuvre que je vais lire et relire régulièrement, en y découvrant à chaque fois quelque chose de nouveau tant le contenu est riche. Bref, une œuvre remarquable que je recommande sans aucune modération.
5/5 - à lire absolument, et à relire avec plaisir.
Une très très belle surprise, un superbe polar dans les années troubles du Franquisme espagnol, On se laisse porter par une narration fluide, un découpage structuré magnifié par le dessin et les couleurs de Teresa VALERO, scénario soigné, qui prend son temps et ne vous lâche pas avant de vous amener à bon port. Un des coups de cœur de ce début d’année
Teresa Valero, scénariste de « Sorcelleries » avec Juan Guarnido ou de « Curiosity Shop » avec Montse Martin se lance pour la première fois comme auteur complet dans « Contrapaso, les enfants des autres » qui sort simultanément en Espagne chez Norma Editorial et en France aux éditions Dupuis. Comme dans son précédent ouvrage « Gentlemind » (avec Antonio Lapone aux pinceaux), elle s’intéresse à la destinée d’un organe de presse qui lui sert de prétexte à l’évocation d’une époque.
*
L’album se déroule à Madrid en 1956 et raconte l’histoire d’un jeune journaliste, Léon Lenoir fils d’un communiste français tué pendant la guerre civile et d’une madrilène qui, élevé par son oncle général de Franco, est parti à 18 ans étudier en France. À son retour en Espagne, il va s’occuper de la rubrique fait-divers dans le journal La Capitale et y retrouver sa cousine Paloma illustratrice pour le magazine féminin du journal. Il devra surtout faire équipe avec Emilio Sanz, un ancien militant phalangiste. Une série de crimes les conduira à faire face à la répression de la dictature et à décider s’il vaut la peine de risquer leur vie pour répandre la vérité.
ENTRE SERIE NOIRE ET FRESQUE HISTORIQUE
« Contrapaso » semble a priori se situer dans le genre de la série noire : on nous présente un criminel en série qui tue en toute impunité depuis des années, des journalistes qui se comportent en détectives, des intrigues et des fausses pistes. Mais cet album a quelque chose de plus et rouvre les blessures du passé en interrogeant l’Histoire. Grâce à une intrigue palpitante, l’autrice entraine le lecteur dans la période sombre de l’après-guerre. Même si la dictature de Franco n’est pas forcément familière au lecteur français, le quotidien des Espagnols, le poids de la censure, la religion, le patriarcat exacerbé et la pauvreté qui régnait dans la capitale avec les cabanes de fortune sont évoqués de façon claire et vivante. L’année choisie ne l’est pas non plus par hasard : en 1956 se produisent les premières manifestations étudiantes contre le syndicat unique qui marquent la volonté de la jeunesse espagnole de ne plus couper la société en deux avec vainqueurs d’un côté et vaincus de l’autre ou pour reprendre le sous-titre du roman graphique enfants des uns et « enfants des autres ».
*
D ’autres thèmes tout aussi passionnants, toujours intimement liés à l’enquête et pas artificiellement plaqués sur l’intrigue, nous sont donnés à découvrir. On perçoit ainsi le rôle idéologique joué par certains médecins pour asseoir le régime : certains personnages sont directement inspirés de du docteur Vallejo Najera qui mit au point une théorie eugénique n’ayant pas grand-chose à envier aux Nazis ou d’autres prestigieux psychiatres comme le Dr López Ibor auteur de méthodes pour « guérir » la neurasthénie féminine ou l’inversion.
PERSONNAGES GRIS DES ANNEES GRISES
Teresa Valero prête particulièrement attention à la construction de ses personnages. Certains comme la fille du médecin légiste ou le curé communiste ancien phalangiste sembleraient sortis de l’imagination fertile de l’autrice mais l’éclairante postface nous apprend qu’ils ont réellement existé. Si les seconds rôles sont extrêmement soignés, que dire alors des protagonistes ? Si l’on a bien a priori un blanc bec qui ne supporte pas la vue du sang et un vieux madré blasé, la relation entre les deux journalistes met du temps à se construire et échappe au cliché du duo d’enquêteurs que tout oppose qu’on trouve souvent dans les séries policières. Ils ne sont finalement pas si dissemblables que cela dans leurs expériences et comme dans leurs traumatismes. De même le personnage de Paloma ne remplit pas le rôle de la jolie fille de service. Elle est un personnage clé à la fois pour la résolution de l’enquête mais également pour stigmatiser le sort réservé aux femmes dans le régime de Franco. Le trio est complexe, profondément humain, empli de contradictions et leurs relations passées ou à venir devraient nourrir l’intrigue du prochain volume.
UN ALBUM DENSE ET VIREVOLTANT
Teresa Valero vient de l’animation et son dessin est plein de mouvements avec un sens cinématographique du cadrage et des cases qui s’enchainent très vite donnant un rythme haletant à l’histoire. Elle fait preuve d’un véritable talent graphique et son style rappelle celui de Guarnido tant par le trait que par le traitement des couleurs, le choix de l’aquarelle, l’attention quasi maniaque portée aux décors et le choix de morceaux célèbres de l’époque pour créer une bande son.
*
Malgré la pagination généreuse (150p) on a même parfois l’impression de trop plein car les dialogues sont extrêmement denses et que les cases se multiplient et fourmillent de détails. C’est le seul bémol qu’on pourrait apporter, mais est-ce vraiment un défaut quand on reproche souvent à un album de bande dessinée de se lire en dix minutes ? Ici, il vous faudra prendre votre temps pour un récit qui donne matière à réflexion et trouve des échos dans le monde contemporain.
*
Le titre ne prend ainsi pleinement son sens que dans les dernières pages et le récit s’éloigne alors du contexte historique franquiste pour saluer de façon plus générale l’importance de l’art et montrer que quand on vous prive de liberté et qu’on vous censure... on peut s’affranchir en écrivant et en dessinant. Un thème d’actualité qu’il est bon de rappeler à l’heure où certains grands hebdomadaires internationaux décident d’arrêter le dessin de presse pour éviter les polémiques …
Teresa Valero a mis la barre très haut pour son coup d’essai. Elle planche déjà sur la suite de ce polar à la sauce madrilène : on devrait en apprendre plus sur le trio de protagonistes, les voir poursuivre l’enquête qui obsède Sanz depuis des années et plonger cette fois en leur compagnie dans le milieu du cinéma espagnol des années 1950. On guettera l’arrivée de ce nouveau volume et pour patienter on relira cette première aventure afin d’en apprécier toutes les subtilités.