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uel est le crime de Zehra Dogan ? Journaliste et artiste kurde, elle a dénoncé les exactions de l'armée turque lors du siège de Nusaybin . Elle est condamnée à une peine deux ans, neuf mois et vingt-deux jours qu'elle purgera essentiellement dans la prison numéro 5 de Diyarbakir, avant d'être envoyée à celle de Tarse jusqu'à sa libération en 2019.
Refusant de se laisser abattre et portée par la solidarité d'autres détenues "politiques", elle se lance dans la réalisation d'une bande dessinée en forme de témoignage. Mais comment réaliser ce projet fou au sain même de l'établissement pénitentiaire, en secret des autorités ? Il lui faudra ruser. L'autrice demande à une amie de lui écrire... beaucoup, toujours sur le même type de papier et uniquement sur le recto des pages. Ainsi, elle peut utiliser le verso pour raconter le quotidien au sein des murs, parler des autres femmes, de leurs parcours. Elle explique la montée de l'insurrection kurde, depuis la création du PKK par Abdullah Öcalan jusqu'à nos jours. Elle dénonce surtout la violence de la répression et les tortures infligées à ses membres. En effet, cette prison 5 traîne une sinistre réputation tant elle fut le théâtre d'horreurs.
Autant prévenir le lecteur, cette bande dessinée est très dure et très graphique dans sa description des sévices infligés aux détenus. Elle met en lumière ce que les régimes turcs successifs préféraient laisser dans l'ombre. Elle redonne leur nom aux centaines d'anonymes, "disparus" pendant ces années de plomb, la chape n'étant pas encore levée comme les informations le rappellent périodiquement.
Le style est également très brut, de par sa création clandestine. Le défi était de réussir à faire sortir les pages au fur et à mesure au nez et à la barbe des gardiens. Une trentaine furent d'ailleurs interceptées et détruites. Zehra Dogan omet sciemment de dévoiler comment elle s'y est prise, pour protéger ceux qui l'ont aidée.
Prison n°5 est un témoignage frontal, éprouvant et bouleversant. On ne peut le juger selon les critères habituels, du fait de la nature particulière de sa réalisation. L'autrice hésitait d'ailleurs à le publier et c'est sur l'insistance de Jacques Tardi et Dominique Grange qu'elle s'est laissée convaincre. Ce n'est clairement pas un livre qui laisse le lecteur dans sa zone de confort. Il s'agit d'un outil de résistance. C'est ce qui le rend important et utile.
Oui, c'est dur !
Oui, c'est éprouvant !
Oui, c'est la réalité, telle que l'a vécue la journaliste kurde qui raconte, au moyen de dessins, l'enfer de cette prison.
Sa démarche est la même que ce dessinateur anonyme à Auschwitz, qui a réussi malgré les tortionnaires nazis à dessiner et à faire passer des croquis eux aussi parfois insoutenables, délivrant ainsi un témoignage "visuel" de ce qui s'est passé. (Il n'existe que trois photos prises à Auschwitz, des clichés pris à la hâte (on comprend pourquoi), et donc très difficiles à exploiter...)
Il existe un carnet de ces dessins édités par le musée du camp.
Zehra Dogan raconte, en journaliste incarcérée qu'elle est.
Son témoignage est poignant, bouleversant.
Elle nous décrit l'indescriptible et tellement réelle situation de la prison N°5.
Ses dessins, imprimés sur un papier rappelant le kraft, sont autant de coups de poing en pleine figure.
Un livre indispensable !