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Facteur pour femmes 2. Livre 2

25/03/2021 5300 visiteurs 6.5/10 (2 notes)

L e 26 août 1918, sur un bout de terre loin du continent, le Maire M. Tangi photographie les filles du vélo. Enfin, celles qui se sont présentées à l’enterrement de Maël - le réformé devenu facteur avant de se muer en prescripteur de menus plaisirs. Elles sont neuf à poser. Nolwen, Soizig, Clémence, Lucienne, Germaine, Rose, Gaud, Solange et Simone. À l’été 1960, Linette Prigent observe attentivement ce fameux cliché. Elle est absorbée par le regard de sa mère et par celui de cette poignée de jeunes femmes qui gardent honteusement un lourd secret sur « l’accident » de bicyclette. Désormais, elle connaît la vérité sur ses origines, ainsi que sur les petites affaires qui entourent la mort de son véritable père. Seulement, elle ignore comment ces robustes insulaires ont accueilli le retour de leurs époux, fait face à leur solitude, goûté à une sorte d’émancipation ou encore affronté leur culpabilité.

Avec Facteur pour femmes, Didier Quella-Guyot (Évadées du harem, L’Île aux remords, Papeete, 1914) avait construit un solide scénario, à la fois émouvant et habillement structuré. Conçu comme un titre auto-conclusif, le premier livre se consacrait à Maël. Ce jeune Breton échappait à la mobilisation en raison de son pied-bot. Pourtant, par concours de circonstances, cet aléa lui offrait une séduisante revanche sur la vie jusqu’à un tragique événement. Portée par un succès mérité, la collection Grand Angle des éditions Bamboo a convaincu l’écrivain de proposer une suite. Naturellement, le récit des survivantes lui est apparu légitime, voire nécessaire. Ces armoricaines ont fait société sans les hommes, alors que peuvent-elles bien attendre de la rentrée des poilus ? À cette question, l’auteur répond principalement par la défense des droits acquis. Ainsi, de l’usine aux champs, les héroïnes aspirent à la reconnaissance de leur identité, de leur désir et de leur indépendance. Évidemment, cela tend à déplaire à leurs compagnons meurtris par la guerre ! En outre, certaines sont rongées par leur mauvaise conscience et ces doutes ne font pas bon ménage avec la curiosité des figures d’autorités locales. Au final, ce second volume est malicieusement orchestré. Il joue sur différentes temporalités et dispose, au surplus, d’un dénouement qui recèle son lot de révélations.

Sébastien Morice n’a pu poursuivre l’aventure puisqu’il est accaparé par son adaptation de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol (six albums en prévisions, dont le diptyque Marius est déjà disponible). Il convenait donc de trouver un successeur capable d’animer une communauté féminine déjà inscrite sur la rétine des lecteurs. C’est à Emmanuel Cassier (L’Héritage du Chaos, Esclaves de l’île de Pâques) que la mission a été dévolue. L’artiste a su relever ce défi avec les honneurs, même si son langage graphique est davantage épuré et sa technique de colorisation moins picturale. Il est surtout à mettre à son crédit l’instauration d’une atmosphère plus sombre, résonant au diapason de l’omerta ambiante et de la gravité du contexte.

Le prolongement de la chronique sociale Facteur pour femmes explore, à force d’humanité et de retenu, les relations d’un groupe d’individus isolé sur un îlot battu par les quatre vents. Ce ricochet est pertinent, parfois cruel et presque féministe !

Par Y. Machado
Moyenne des chroniqueurs
6.5

Informations sur l'album

Facteur pour femmes
2. Livre 2

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L'avis des visiteurs

    Lakazdelonclepol Le 04/09/2023 à 10:51:36

    Une histoire forte sans concessions, très moderne dans son discours, qui nous invite à réfléchir à la condition féminine dans toutes ses composantes.
    Le dessin et la mise en couleurs sont lumineux à l'instar du pays hôte du récit, la Bretagne de l'époque est sublimée dans sa rudesse et sa splendeur.
    Merci aux auteurs pour ce voyage méditatif.

    Saigneurdeguerre Le 15/05/2021 à 20:25:11

    26 août 1918. Cimetière de l’île.

    Elles sont huit rassemblées devant la tombe de Maël, le facteur. Leur facteur. Le jeune homme au pied-bot qui a si bien su leur tenir compagnie durant les années de guerre alors que tous les hommes valides ont été appelés sous les drapeaux.

    A sa manière, Maël avait su se montrer vaillant. Lui aussi.
    La guerre va bientôt s’achever. Les hommes vont revenir. Enfin… Ceux qui auront survécu. Et encore ! Peut-on parler de survie quand on revient défiguré, la tête ravagée par les horreurs indicibles vécues à Verdun ou au Chemin des Dames ?

    La nouvelle de ce prochain retour est loin de faire plaisir à toutes ces dames. Cinq ans, c’est long. Cinq années durant lesquelles elles ont fait tourner la « boutique » sans homme. Et maintenant que les mâles sont de retour, elles vont devoir rentrer dans le rang ?

    Et puis, il y a LE secret ! Le secret ? Non ! Plutôt les secrets. C’est qu’elles en ont des choses à cacher ces mères, ces épouses, ces veuves, ces fiancées…

    Critique :

    Didier Quellat-Guillot avait rédigé un scénario extraordinaire dans « Facteur pour femmes ». Le tome 1. Il devait constituer une histoire complète, mais ne voilà-t-il pas que, subissant les pressions de son épouse, on ne plaindra jamais assez les hommes, il ajoute six ans plus tard un deuxième tome. Pourtant, tout était dit, non ? Pas vraiment… Comme son épouse le lui a signalé, c’est bien une idée de mec, une fois le héros disparu, point final ! « Ah ? Et que sont devenues toutes ces femmes ? »

    Voilà le pauvre scénariste obligé de se replonger dans l’histoire de l’île pour suivre, pour l’essentiel, ces femmes qui, toutes, ont aimé Maël durant ces années de conflit. Elles ont plus d’un lourd secret à cacher. L’ennui, c’est qu’avec le temps, les langues se délient. Certaines sont prises de remords. Les enfants grandissent et se souviennent de certaines choses. Des photos, la passion du maire, témoignent… Le curé lui-même a laissé des guillemets autour du mot « accident », celui qui a conduit à la mort tragique de Maël…

    Je suis encore tout secoué par ce scénario, magnifiquement mené avec des révélations en cascade, des péripéties qui se tiennent et une finale qui…

    N’ayant pas trouvé la patte de Sébastien Morice, ni ses couleurs, j’ai, en feuilletant l’album, été envahi par la déception. C’est quoi ces couleurs sombres et majoritairement froides ? Et ces dessins qui n’ont pas la même légèreté de trait ? Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! … Heu… Eh bien, pas du tout ! Une fois les premières récriminations passées, je me suis fait au trait et aux couleurs de Manu Cassier. Je trouve qu’il a su trouver l’accent juste pour illustrer cette histoire de femmes, bien plus sombre que celle du tome 1.

    Que vous soyez amateur de bande dessinée ou tout simplement amoureux de belles histoires, plongez-vous vite dans ces deux albums. Et s’il vous est encore possible de dénicher le coffret, sautez sur l’occasion !

    Bourbix Le 04/04/2021 à 14:48:45

    Un second tome qui tombe dans la facilité et parfaitement dispensable. Dessin et couleur sont un cran au dessous également. Ne retournez pas sur cet île, le second voyage est décevant. Bref je suis déçu =)

    bd.otaku Le 29/03/2021 à 09:27:48

    Il y a un peu plus de cinq ans « Facteur pour femmes » de Didier Quella-Guyot et Sébastien Morice rencontrait un joli succès public et critique en narrant les aventures du jeune Maël, pied-bot et réformé, qui tandis que tous les hommes valides de son île étaient envoyés à la grande boucherie de 14, endossait le costume de facteur et réconfortait les femmes et fiancées esseulées moins en distribuant leur courrier qu’en donnant de sa personne…
    Ce roman graphique était conçu comme un one-shot ; c’est donc avec une certaine surprise qu’on a appris la sortie d’un tome 2 d’autant que le dessinateur du projet initial avait laissé sa Bretagne pour se plonger dans l’adaptation de la « trilogie marseillaise » de Pagnol dont le premier diptyque – « Marius » - est déjà paru… Le facteur sonne toujours deux fois me direz-vous … mais que doit-on penser de ce nouvel opus, avec Manu Cassier aux pinceaux : s’agit-il d’une opération commerciale de la collection grand Angle des éditions Bamboo ou bien d’un approfondissement salutaire de cette tranche de vie bretonne ?

    Didier Quella-Guyot, ancien professeur de Lettres et d’Histoire, excelle à présenter des facettes de la première guerre mondiale que l’on ne connaissait pas qu’il s’agisse du bombardement de la capitale de la Polynésie française par des navires du IIème Reich marquant l’arrivée incongrue de la Première Guerre mondiale dans les atolls du Pacifique dans « Papeete 1914 » ; des chiens de guerre dans « Monument amour » ou de la vie à l’arrière dans le premier tome de « Facteur pour femmes ». Il aime bien mêler l’Histoire à la petite histoire dans ses fictions solidement documentées et y ajouter une dose de polar. Après Simon Combaud dans Papeete, c’est un curé qui va se heurter au mutisme d’iliens et mener son enquête et c’est finalement Linette la fille de Solange et Maël qui va recueillir les confessions de Simone la voisine, et celles post-mortem de sa mère et de Tangi l’ancien maire sur l’assassinat de Maël et ce qui s’en suivit.

    Le scénariste raconte dans la postface de ce tome 2 comment c’est grâce à sa femme que germa l’idée d’une suite. Elle lui demanda, en effet, ce qu’allaient devenir ces femmes après la guerre avec un secret pareil et il n’en fallut pas davantage pour relancer son imagination… Dans ce nouvel opus, il décide donc de s’intéresser non plus au « facteur pour femmes » mais « aux femmes du facteur ». Contrairement au premier volume qui baignait dans une atmosphère de légèreté et d’insouciance que certaines des protagonistes qualifieront même de « bon vieux temps » et qui s’appela provisoirement « Ah que la guerre était jolie » , ce deuxième tome est beaucoup plus pesant.

    D’abord parce que ce monde d’après est paradoxalement bien plus âpre. « On l'a oublié mais après la guerre ce fut encore la guerre, celle des hommes qui voulaient reprendre leur place dans les champs, dans les usines, les administrations ... partout ! » (p19) et l’on voit ainsi développés des personnages qui n’étaient qu’esquissés dans le premier opus : Germaine, Servanne et Rose. La garde-champêtre choisit de porter des pantalons et de se déplacer à vélo provoquant l’ire des villageois, tandis que les deux autres jeunes femmes déterminées contrairement à ce que pourrait laisser penser leurs prénoms- ne se laissent pas faire dans la société patriarcale. Refusant d’être esclaves ou douces et dociles, elles se battent pour leur émancipation et leurs droits et signalent à la gent masculine qu’il s’agisse du contremaitre de la conserverie de Concarneau ou du fils de Gaud, le bien dénommé Conan qui a tout du barbare voire du c…ard, qu’elles peuvent fort bien se passer d’eux y compris au lit ! Cette thématique de l’émancipation féminine dans les années 20 reprend et approfondit sous forme fictionnelle ce que le scénariste avait déjà récemment développé dans sa biographie de l’aviatrice Hèlène Boucher.

    Ensuite parce que comme Tahiti dans Papeete, 1914, la terre cévenole isolée par une inondation dans la bien nommée L’Île aux remords ou encore l’île d’Esclaves de l’île de Pâques (avec déjà Manu Cassier), tout ou presque se déroule sur l’île finistérienne. Même Rose ou Linette qui en étaient parties y reviennent. On a ainsi un huis-clos étouffant avec secrets à tiroir et révélations en cascade. Les non-dits et le pacte des iliennes vont détruire des vies. Là encore, Didier Quella-Guyot choisit de développer un personnage qu’on ne faisait qu’apercevoir dans le premier tome : celui de la gardienne du phare Nolwen. Il en brosse un portrait tout en délicatesse qui sert cette fois de ressort dramatique. Ses remords et ses regrets éveillent les soupçons du curé et mettent en danger la confrérie des « filles du vélo » tout en rappelant au lecteur l’horreur du crime commis.

    Ainsi ce tome 2 permet un approfondissement psychologique des personnages. Dans le premier opus, les conquêtes de Maël formaient une jolie galerie dans l’éducation sentimentale du personnage mais ne possédaient pas de réelle épaisseur. Ici, elles se révèlent dans tous les sens du terme. On a reproché çà et là au style de Manu Cassier de n’être pas dans la lignée douce et solaire de celui de Morice. Il me semble au contraire que son trait anguleux et que ses femmes parfois très masculines conviennent parfaitement à l’atmosphère d’omerta ainsi qu’à la gravité du contexte historique. Ainsi, même si les cases sans contour et la palette de couleurs sont reprises et instaurent une homogénéité entre les deux volumes, la patte Cassier apparaît dès la couverture. Sur l’édition classique du tome 1, Sébastien Morice choisissait de ne pas montrer le facteur Maël ni la guerre mais plutôt les femmes dans leur cadre de vie : sous un ciel serein, on apercevait les eaux étales et bleutées, des oiseaux marins, quelques embarcations une jetée et un phare avec en premier plan une jolie bigoudène serrant sur son cœur une lettre tandis que d’autres à l’arrière-plan rentraient au village après avoir lavé et essoré leurs linges sur le littoral dans le style pictural de l’école de Pont-Aven. La nouvelle couverture reprend les mêmes éléments mais les réagencent différemment : on y voit plusieurs femmes jetant des regards inquiets en direction du large houleux sous une haute falaise au sommet duquel trône un phare allumé en plein jour et l‘on se demande alors ce que regardent ces femmes, pourquoi elles apparaissent en groupe avec leurs traits tirés et ce que représente symboliquement la lumière du phare. On passe ainsi de l’image folklorique du tome 1 à une version dotée de mystère insistant sur le côté naturaliste et policier du récit.

    Ce tome 2 de « Facteur pour femmes » est donc une réussite et apporte un véritable « plus » au roman graphique de départ en brossant un saisissant portrait de la condition féminine d’après-guerre et en ajoutant son lot d’intrigues. Attention néanmoins : pour le savourer pleinement, même s’il est précisé partout que c’est une histoire indépendante, il est fortement recommandé d’avoir lu le premier !