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E n août 1968, le Portugal bruisse des dernières nouvelles sur l’état de santé de son vieux dirigeant, Antonio Salazar. Ragots et blagues vont bon train et ce jusque dans les bureaux de la P.I.D.E, la police politique. En y arrivant ce matin-là pour une consultation avec un gradé, le docteur Fernando Pais tombe sur deux sbires occupés à tabasser un garçon. Le crime de João ? Avoir réussi à souiller de déjection canine le costume de l’un des gardes, grâce à un piège artisanal. Sauvé par l’intervention du médecin, le gosse file sur un dernier geste irrévérent. Amusé par cette graine de révolutionnaire, le toubib se rappelle l’époque où il courtisait une pasionaria communiste. Déjà, son naturel nonchalant se heurtait au véritable engagement de ses proches. Dix ans après, pourrait-il basculer ?

Face à une dictature installée dans une violence ordinaire, que choisir ? Qui rallier ? Pourquoi et comment agir ? De quels freins s’affranchir ? Voici autant de questions soulevées par Nicolas Barral dans Sur un air de fado. Ce « Et vous, qu’auriez-vous fait ? », l’auteur le pose avec acuité et sans fard à travers un récit mené brillamment et influencé par sa lecture du roman d’Antonio Tabucchi, Pereira prétend (adapté en bande dessinée par Pierre-Henry Gomont).

L’histoire transporte le lecteur en pleine période salazariste, quand il ne faisait pas bon s’opposer au mode de gouvernement du Doutor, et propose de suivre les pas d’un héros qui, justement, semble se laisser porter par les événements, sans vraiment s’impliquer. Sa figure aussi sympathique que désinvolte et son attitude d’acceptation désabusée trouvent leur contrepoint chez les protagonistes investis qu’il côtoie. De Marisa à João, en passant par Horácio, l’ami lettré et homosexuel, les exemples de résistance ne manquent pas et trouvent leur pendant du côté de la collaboration dans les brefs aperçus des méthodes musclées des agents de l’État autoritaire – passage à tabac, menaces à peine voilée, visages tuméfiés de malheureux torturés. Agrémentée d’une romance aux accents doux-amers développée dans les retours en arrière, l’intrigue souligne également l’importance des liens familiaux et du contexte social personnel. Être issu d’un milieu bourgeois et flanqué d’un frère intégré à la sphère au pouvoir, ou avoir grandi parmi les couches populaires ferait-il la différence au moment d'opter pour l'une ou l'autre voie ? Peut-être.

Soutenant ce scénario adroitement mené, le dessin de Nicolas Barral se caractérise par un trait expressif, légèrement lâché. Tant les planches se déroulant en 1968 que celles consacrées aux flashbacks se révèlent parfaitement maitrisées et il s’en dégage une atmosphère agréablement teintée par ce fameux saudade portugais. Le découpage est efficace et les cadrages variés permettent d’apprécier de belles vues de Lisbonne, le charme de ses quartiers et de ses trams, ou encore d’approcher au plus près les émotions des différents protagonistes, voire de frémir face à quelques scènes de torture.

S'appuyant sur une bonne documentation, Sur un air de fado est un album captivant qui traite avec justesse et brio d'un pan de l'Histoire trop peu évoqué dans le 9e Art. Un indispensable pour qui s'intéresse au Portugal.

Par M. Natali
Moyenne des chroniqueurs
8.2

Informations sur l'album

Sur un air de Fado

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Note: 4.2/5 (52 votes)

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L'avis des visiteurs

    Dunyre Le 21/05/2022 à 16:32:57

    Une lecture intéressante, mais destinée aux novices de l’histoire du XXe siècle.

    Le propos est convenu et le scénario simple prétexte à nous montrer toute l’étendue des problèmes sociétaires du Portugal de Salazar.

    Suffisamment simple pour plaire à tout le monde, le récit est réalisé sous le sceau de l’efficacité, et les graphismes académiques servent parfaitement le récit.

    Un bon moment de passé, mais pas une BD marquante. A emprunter en bibliothèque.

    snip Le 09/09/2021 à 10:23:21

    Cette BD est très réussie et homogène : le dessin et la scénario sont au diapason et le trait est agréable : précis pour transmettre l'émotion mais relaché et qui laisse de la part à son imaginaire.

    le récit nous amène finement vers une tension qui est souvent masquée par le relachement et le laché-prise du héro.

    J'ai découvert cette dictature que je connaissais mal : un côté doux-amer ou on peux vivre tranquille avec cette douceur des portugais et la beauté de Lisbonne, à condition de ne pas exprimer d'avis contraires à la vision du régime. On pourrait effectivement se laisser aller dans cette torpeur... mais le fond reste triste et l'âme s'accomode mal de cette forme de lacheté. Le fado permet peut-être d'exprimer cela entre autre.

    Un one shot très réussi, instructif et touchant, qui dit plein de choses de ce peuple attachant et profondémment humain.

    Shaddam4 Le 18/08/2021 à 10:29:35

    Sur des dessins « classiques », le découpage lent et académique (qu’on peut retrouver chez Juillard par exemple) instille brillamment une atmosphère qui fait partie intégrante de ce projet de reconstitution d’une vie calme sous une dictature qui se ferait presque oublier sous la chaleur et les nuits de Fado. La couverture est en cela particulièrement bien trouvée en reflétant ces deux façades où de gentils papy peuvent cacher des informateurs de la police et où les geôles abritent autant de violentes brutes que de grande professionnels. Le Doutor nous rappelle le magnifique Matteo de Gibrat, comme une sorte de cousin lusitanien du beau parleur au nez aquilin qui traverse son époque tout en y participant. Et confirme par cette comparaison la très grande qualité de cet album.

    Lire la critique sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/2021/07/14/sur-un-air-de-fado/

    bulle.noire Le 12/06/2021 à 16:46:55

    Peu coutumier de l’histoire portugaise, j’ai pris un plaisir doux à lire ce très bel album !

    Il règne une certaine nonchalance … Fernando marche… beaucoup… il fait chaud, les couleurs très réussies nous offrent toute la palette de l’été …. Je vois déjà le film (Benicio Del Toro pour Fernando bien sûr)… la musique évidemment aura toute sa place, le fado règnera…. Mélancolie, douceur, regret, renoncement mais aussi espoir d’une autre vie…. Barral (que je connaissais dans Nestor Burma) signe là un album magistral, intime…. Et universel !

    Qui veut danser ?

    Erik67 Le 06/06/2021 à 12:08:41

    Peu de gens le savent dans la nouvelle génération mais le Portugal a été pendant très longtemps une dictature (1926-1974) avant d'intégrer l'Union européenne.

    Oliveira Salazar a mis en place l'Etat nouveau, un régime autoritaire, conservateur, catholique et nationaliste et fortement anti-communiste mais sans être un régime fasciste.
    L'armée et la police politique surveillent le pays, en ayant notamment recours à des indicateurs fondus dans la population. Les prisonniers politiques sont incarcérés dans des centres de rétention. La torture y est couramment pratiquée. Les guerres coloniales, qui durent de 1961 à la révolution des œillets en 1974 coûtent la vie à 8 000 portugais.

    Cette BD va nous faire découvrir ce pays après 40 ans de dictature soit en 1968. On va suivre le parcours d'un homme Fernando Païs, médecin de profession, qui s'était marié durant sa jeunesse avec une belle activiste alors que son frère travaillait dans la police pour l'Etat.

    J'ai beaucoup aimé la personnalité de notre héros qui joue sur la nonchalance et son détachement pour affronter la dure réalité de la vie sous un régime autoritaire qui ne fait pas de cadeau. Il a du payer le prix fort pour ses errements de jeunesse. Il y a une formidable maîtrise dans la dimension psychologique ce qui fait la différence avec une autre BD généralement au héros assez léger et sans réelle consistance.

    C'est une œuvre qui m'a non seulement captivé mais qui m'a également touché en plein cœur. En tous les cas, on n'oubliera pas de sitôt cet air de fado.