R
achel Archer voit au travers des choses ou des personnes et chemine sur le fil du temps ! Réduite au rang d’attraction mondaine par une bonne société scientiste, guindée dans ses certitudes et ses préjugées, elle disparait, un soir, sans laisser de trace… Quelques cent-quarante ans plus tard, elle guide les pas de la danseuse Liv Nexø, à Copenhague…
Il y a d’abord ces yeux immenses, grands ouverts sur les autres, portes entre deux mondes dont Rachel est la passeuse. Rachel est différente, elle l’a toujours été. Elle est le symbole de celle qui sait et qui n’est pas écoutée et peut-être est-ce mieux ainsi ! En d’autres temps, elle aurait été sorcière et brulée, ou pythie et vénérée ; sous la fin du règne de Louis-Philippe, elle n’est qu’objet d’une curiosité futile et inconsistante.
Dans les deux premiers volets du Don de Rachel, Anne-Caroline Pandolfo installe son personnage et le monde qui l’entoure, fortement aidée par Terkel Risbjerg et son trait tout en simplicité. Ici, l’important n’est pas dans la précision ou le détail, mais dans la justesse et l’expressivité, notamment des regards par lesquels la personnalité des divers protagonistes transparaît. Sur une pagination très sage en trois strips et avec un agencement très régulier des cases dont la seule fantaisie est au niveau des variations de la mise en couleurs, scénariste et dessinateur donnent cependant vie et relief à une héroïne et au malaise existentiel qui progressivement la submerge. Les deux autres parties de l’album qui n'en représentent qu'un tiers, lui confèrent toutefois une toute autre physionomie. En projetant Rachel, comme source d’inspiration pour une photographe et une chorégraphe, Anne-Marie Pandolfo interroge alors sur les origines du génie artistique et sur les mystères de la création.
Le don de Rachel est de ces récits qui vous entraînent sans crier gare dans des rêveries laissant quelque peu désemparé dès que la dernière page survient.
Il y a trois villes et trois époques et surtout trois femmes qui sont reliées par une histoire assez mystérieuse.
Pour autant, c'est la première histoire qui va nous occupe activement avec Rachel, une médium qui devient une sorte de célébrité de son époque grâce à un don de voyance qui n'est malheureusement pas correctement exploités. Les devinettes, cela va un temps. Et puis, il y a toute cette méfiance à combattre ce qui peut être fatiguant à la longue.
J'ai beaucoup aimé cette thématique de la non-exploitation du don de voyance. Rachel voulait pourtant l'offrir au monde entier. Cependant, on se rend compte que le XIXème siècle n'était pas encore prêt à s'ouvrir sur le monde au-delà de la réalité.
Les deux autres récits seront un peu mineures en comparaison mais tout aussi utiles pour composer l'ensemble de ce puzzle de liens qui va se mettre progressivement en place. Et puis, il y a ce dénouement final qui apportera toutes les réponses. En tous les cas, une lecture assez intrigante sur un portrait de femme pas du tout conventionnelle. On va être envoûté !
J'ai adoré la première et grande partie du récit, focalisé sur cette femme extralucide, Rachel, qui a le don de prédire l'avenir. Ce qu'elle veut, elle, c'est aider les autres, leur permettre d'éviter les catastrophe, de sauver leurs proches, d'arriver à temps... Mais dans la société dans laquelle elle vit, tout le monde semble focalisé sur cet aspect de "don", ce qui la transforme en véritable phénomène de foire. Ce qu'elle ressent est si compréhensible, si réaliste.
Les deux autres parties, en revanche, m'ont un peu échappé dans leur fonction. Retranscrire cet épisode par la danse, faire resurgie ce passé...
Ça reste néanmoins un très, très bon album.
j'étais envouté dés mon premier aperçu de la couverture. J’attendais cet album avec impatience ne sachant pas trop à quoi m’attendre… je voulais juste retrouver ce regard.
Et suivant le conseil de @peau.d.encre , je me suis laissé embarquer…
Les yeux de Rachel Archer m’ont donc transporté sur 3 lieux ,3 époques et 3 vies différentes. Le dessin, les couleurs tantôt vives, tantôt sombres, les personnages, le scénario… tout est réussi.
Rachel est voyante, elle voit tout… et en 1848 à Paris, pas facile à faire accepter ! Sa douceur et sa volonté farouche créent d’emblée de l’empathie chez le lecteur. On croisera 2 autres femmes : Liv est metteur en scène à Copenhague et Virginia est une jeune photographe à Londres. L’esprit de Rachel reste le fil conducteur jusqu’à la toute dernière page…
Toi aussi, plonge dans ce regard… tu ne l’oublieras pas de sitôt !
Un histoire atypique, assez fascinante, mais qui m'a laissé malgré tout sur ma faim.
Dans le Paris de 1848, nous suivons Rachel, sorte de medium extralucide absolue, qui traverse son époque de manière transparente au milieu de concitoyens futiles, incapables de voir en elle plus qu'un simple phénomène de foire. Et cette histoire a deux "échos temporels", au milieu du XXe, et de nos jours.
Je reconnais à cet album des qualités indéniables : un dessin atypique et des couleurs exceptionnelles qui créent une atmosphère onirique, une histoire qui se construit au fil des 200 pages (tout de même), un découpage en trois parties qui donne de la profondeur.
Malgré ces qualités, je n'ai pas saisi le message des auteurs, avec le sentiment d'être passé à côté de quelque chose, et donc une frustration palpable.
Au final, le Don de Rachel est une œuvre atypique, intéressante, de qualité, et qui se démarque clairement du flot continu de BD ultra standardisées actuel.
3/5 : atypique, intéressant, mais à recommander pour les amateurs un peu "pointus"
Un immense coup de cœur ! Quel magnifique cadeau que Le don de Rachel qui vient de paraître aux Éditions Casterman, album de presque 200 pages sorti tout droit de l’imagination fertile d’ Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risjberg, nos Rachel et Page des temps modernes. Nous voilà embarqués dans un fantastique récit ou plutôt un récit fantastique à travers le regard envoûtant de Rachel qui après nous avoir fait découvrir le Paris de 1848, nous conduira à Copenhague en 1980 au cœur d’une création de la chorégraphe Liv Nexø pour le Kongelige Ballet puis s’achèvera (encore que …) au XXIe siècle derrière l’objectif de Virginia Day une photographe londonienne. Trois capitales européennes, trois époques, trois femmes … Une prodigieuse mise en abyme, un subtil jeu de miroirs lynchien qui interroge, entre autres, sur l’acceptation de la différence, l’inspiration et la transmission dans le cadre du mystère de la création artistique.
« J’ai quelque chose en moi que les autres n’ont pas. Et je veux le partager. » Pendant un peu plus de 100 pages, nous allons donc parcourir le Paris de 1848 aux côté de Rachel. Rachel n’invente pas, elle voit. De ses immenses yeux bleus magnétiques à la profondeur insondable, elle voit à travers les choses et à travers les gens. Elle est non seulement capable de voir le passé et le présent, mais également l’avenir. Elle voit le poème que Victor Hugo n’écrira que dix ans plus tard et cela stupéfie Page, son alter ego, son ami et confident, son double qui scrupuleusement trace le fil de la vie de celle qu’il nomme sa muse dans un carnet qui ne le quitte pas. Mais autant dire que son don extraordinaire sera diversement accueilli par ses contemporains. Elle va devoir faire face à la curiosité et au scepticisme des gens qui n’auront qu’une envie, la démasquer. Vont suivre une série de représentations au cours desquelles on ne lui demandera que des futilités, faisant fi des révélations autrement plus importantes qu’elle voudrait transmettre. On la considère au mieux comme un phénomène de foire, au pire comme une sorcière. Puis dans ce monde superficiel, elle va devenir la coqueluche de la haute société parisienne mais celle-ci aussi fera peu de cas de son moi profond. Son regard peu à peu va perdre de son éclat et un beau jour, ne laissant derrière elle que le fameux carnet et un daguerréotype, elle va disparaître à l’instar des fées dans le monde imaginaire de Peter Pan où « chaque fois qu’un enfant dit : “Je ne crois pas aux fées”, il y a quelque part une petite fée qui meurt. » …
L’histoire aurait pu s’arrêter là et cela aurait été un très beau conte fantastique mais la réapparition (?) de Rachel plus de 100 ans plus tard dans la vie de la chorégraphe danoise, puis de la photographe londonienne lui donne une toute autre dimension.
Un album connecté
Nous ayant d’abord enchantés au rythme d’un album par an aux Éditions Sarbacane avec Mine une vie de chat (2012), L’astragale (2013), Le roi des scarabées (2014), La lionne (2015), Perceval Le Gallois (2016) et Serena (2018), c’est à présent aux Éditions Casterman qu’officie ce tandem inspiré et inspirant.
C’est là le deuxième ouvrage qu’ils signent chez l’éditeur et s’il entre en résonance avec le premier, Enferme-moi si tu peux paru en 2019, ce n’est nullement le fait du hasard.
Lors de la genèse de ce précédent album consacré à l’art brut à travers le portrait de six personnes exemptes de toute formation et culture artistiques possédant un don naturel indéniable et inexplicable pour la peinture ou la sculpture, l’idée leur est venue d’aborder également le spiritisme à travers un second tome consacré aux artistes spirites. Et puis ils ont décidé finalement de produire deux albums séparés, le premier avec des personnes ayant existé, le second mettant en scène un personnage de fiction ce qui leur a apporté une plus grande liberté dans la narration et a donné libre cours à leur … imagination.
L’ancrage dans la réalité historique
Le XIXe siècle est une période où spiritisme, surnaturel, magie ont le vent en poupe.
Une des forces de ce récit, c’est cette plongée dans un imaginaire profondément ancré dans la réalité par son cadre, les personnages célèbres que Rachel va y croiser et certains évènements qu’elle va vivre.
Si Rachel est un personnage fictif, elle s’inspire toutefois du plus grand médium et magnétiseur de ce siècle, Alexis Didier. Aussi, quelques séquences de l’album relatent-elles des épisodes de sa vie notamment la confrontation à deux reprises avec l’illustre illusionniste Robert-Houdin qui attesta qu’il ne s’agissait nullement de prestidigitation. Rachel est un personnage de fiction, certes, mais qui va évoluer parmi des personnalités bien réelles de l’époque.
Alors, Charles Chevalier, un ingénieur opticien avait bien ouvert un cabinet de daguerréotypes et Frédéric Lemaitre était bien un célèbre acteur qui fit ses débuts au Théâtre des Funambules. Concernant la princesse Mathilde, cousine du futur Napoléon III, il y a bien une sombre histoire de bijoux … Et puis il, y a ces lieux emblématiques : Le Théâtre des Funambules et le Théâtre Robert-Houdin, le château de Monte-Cristo, demeure d’Alexandre Dumas, la mention de la fameuse armurerie Le Page, connue notamment pour avoir distribué des armes à la foule pendant la révolution de 1830. N’oublions pas que nous sommes à la veille de celle de 1848 ...
Un jeu miroirs dans lesquels se reflètent tour à tour le réel, l’imaginaire, le surnaturel, le rêve …
La narration donnant une apparence de simplicité en raison de sa linéarité est a contrario particulièrement subtile et malgré (ou en raison de) son extrême précision joue sur l’ambiguïté et ouvre la porte à de nombreuses interprétations. A commencer par le titre avec la double signification du mot « don ».
Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est du domaine de l’imaginaire ou du rêve ? Et si toute cette première partie n’était une métaphore et Rachel l’allégorie de la création artistique ? Et ce fameux carnet, qui en est l’auteur ? Page ?... Rachel ?... Les deux ?... Une romancière ?... Et si … ? Toutes les questions sont permises et de nombreuses réponses sont possibles.
Dans une judicieuse postface, la scénariste nous livre quelques clés de lecture et évoque en passant le côté non anodin des prénoms tout en se gardant bien de donner le moindre indice concernant notre héroïne principale. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité. Alors, Rachel Archer ? ... Pour le patronyme, comment ne pas penser à un autre « Portrait de femme » celui d’Isabel, l’héroïne de Henry James … Quant au prénom … « Rachel ? la perfection, et rien de plus ! » se serait exclamé Frédéric Lemaître à propos de la plus grande tragédienne de l’époque, modèle de Sarah Bernhard : Rachel Félix, celle qu’on appelait « Mademoiselle Rachel » …
Mais revenons à ce récit qu’on peut voir également comme une ode au monde artistique tant il est ponctué de références notamment littéraires et cinématographiques. Des références littéraires tout d’abord. Outre l’épisode avec Alexandre Dumas et l’allusion à Victor Hugo au tout début du récit, lors d’une de ses séances dans un salon mondain, l’extrait de livre qu’on lui donne à deviner n’est autre que la toute dernière phrase du Père Goriot déterminante pour l’avenir du héros des « Illusions perdues » …
Des références cinématographiques également avec bien sûr celle évidente aux Enfants du paradis de Marcel Carné mais d’autres beaucoup plus discrètes comme cette illustration pleine page qui clôt l’épisode danois avec la superposition de 3 images : l’une de Liv, une autre, surexposée de Rachel et enfin une troisième composée de silhouettes noires qui fait irrémédiablement songer à la scène d’ouverture de Mulholland Drive, soulignant le côté lynchien du récit … ou encore le fragment d’affiche de Blow up d’Antonioni entraperçu dans l’appartement londonien de Virginia situé au 43 Kensington Gardens Square, adresse non anodine...
Il y a quelqu’un sans lequel cet album n’existerait pas. Il s’agit de Terkel Risbjerg, bien sûr. Comme dans les précédents albums, son trait tout en simplicité et en sensibilité vient donner vie à cette histoire hors-normes. La mise en couleur alternant et conjuguant le noir profond de l’encre de Chine à des lavis tour à tour sombres ou lumineux est impeccable, retranscrit formidablement bien les différentes ambiances et sublime le charme envoûtant de Rachel. La couverture déjà annonçait la couleur, ou plutôt les couleurs, couleurs éclatantes qui vont d’ailleurs être reprises pour les pages de garde venant souligner l’élégance de l’objet. Quant aux scènes oniriques, elles sont de toute beauté. Mention spéciale au survol nocturne chagallien de Borgen où plane encore l’ombre de Peter Pan …
Le don de Rachel confirme, si besoin est, le don du duo Pandolfo/Risberg pour les histoires captivantes. Ne passez pas à côté de cet album d’une richesse telle que chaque relecture ouvre de nouvelles perspectives.
Quant à la mystérieuse et fascinante Rachel, elle mérite d’entrer au panthéon de ces héroïnes de papier qu’on n’oublie pas.