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aria Asanti est revenue des Enfers pour se venger. Laissant ses ennemis s’entretuer, elle noue les alliances qui lui permettront d’instaurer une ère de paix. Venise pourrait survivre quelques temps encore…
Il est des bandes dessinées qui sortent de l’ordinaire. Que ce soit par la profondeur de leur récit ou bien par la puissance de leur dessin, quelquefois… les deux ; et puis, il existe des œuvres à part qui savent susciter ce petit quelque chose qui fait la différence et marque les esprits plus que de raison. Saria serait-elle de celles-ci ?
Sorti en 2007 des fonds baptismaux des éditions Robert Laffont sur lesquels s’étaient penchés les démiurgiques Jean Dufaux et Paolo Eleuteri Serpieri, les Enfers allait tutoyer le Paradis avant que d’entamer un long chemin de croix. Extrait de l’oubli par les éditons Delcourt, la série - devenue entre-temps Saria - est alors confiée à Riccardo Federici pour pallier le bras fatigué du maestro italien. En novembre 2012, La Porte de l'ange sort en librairies et l’élève profite de l’occasion pour montrer qu’il égale le maître !
Attendu depuis plus de huit années, ce dernier volet paraît en ce mois de février 2021 et tel un phénix qui renaîtrait de ses cendres, il prend également la forme d’une intégrale !
Jean Dufaux, égal à lui-même, fait resurgir son héroïne de l’au-delà pour extraire de ses tréfonds nauséeux une Humanité qui n’en a plus que le nom. Cette dramaturgie dantesque, où la frontière entre le grandiose et le grandiloquent est parfois tenue, laisse entrevoir quelques facilités coupables de la part du maître belge et ce tant sur ses dialogues, d’une trivialité parfois déplacée, que lors d’un final très fleur-bleue qui détonne étrangement face au machiavélisme ambiant. Toutefois, le script possède le mérite d’entrer en résonance avec le traitement pictural de Riccardo Federici. Paolo Eleuteri Serpieri avait imaginé une Sérénissime post-apocalyptique, à la fois organique et décadente, son successeur poursuit dans cette voie et exhale, graphiquement, la symbiose qui s’opère entre la déliquescente citée et ceux qui président à sa destinée. Scénariste et dessinateur s’entrainent alors mutuellement, livrant ainsi de superbes planches et quelques vignettes d’une étonnante expressivité quelque peu ternie par une mise sous presse qui leur fait perdre une partie de leur relief comme de leur intensité. Enfin, il pourrait être regretté certaines séquences, plus intimistes, déclinées sur des registres émotionnels et graphiques différents, mais qui possèdent le mérite de mettre en valeur la capacité d’un artiste à explorer simultanément plusieurs partitions… quitte à se mettre en danger.
Puisant dans le palimpseste vénitien et l'histoire italienne, La Fin d'un règne permet à Riccardo Federici de s’affirmer comme un dessinateur hors pair.
Il a fallu attendre plus de 8 ans pour connaître la suite de Saria, dite La Luna.
Tout d'abord les dessins sont exceptionnelles et le changement de dessinateur entre le tome 1 et 2 ne change rien à l'ambiance de cette trilogie.
Le style fait penser à du Bilal avec son côté post-apocalyptique et sa référence à l'histoire : ici un mélange entre la Venise médiévale et l'Italie fasciste des années 1930.
Le scénario est une réussite et gagne en noirceur avec le contact de plus en plus prégnant avec les Enfers.
Une trilogie close en beauté. Un album que j'attendais depuis longtemps. L'art des mondes infernaux dans toute son ampleur. J'avais commencé avec "Les Enfers" et je ne regrette aucunement mon achat. Bien que déjà annoncé en novembre il n'était disponible à la vente qu'en mars 2021.
Cet album appelle toutefois quelques commentaires. Le dessin, dans sa composition, parfait et sombre, a quelque chose de chaotique et d'indescriptible, comme le coup de poignard de Saria envers Galadriel que l'on voit de dos ou certaines scènes qui ne sont pas en corrélation avec le scénario (page 16). Monsieur Federici en parle en fin d'album, il s'est laissé aller librement dans sa création. Mais je trouve que l'ensemble est beaucoup trop sombre, il y a trop de noir, même si le sujet s'y prête et ça gâche et surtout ça cache beaucoup la qualité du dessin (Saria par exemple à la page 13 en bas à droite) et ça c'est très dommage. Les pages 8 9, 26, 27 et 29 sont les seuls pages où la scène se déroule dehors et de jour, avec un temps maussade c'est vrai, mais cette BD manque cruellement de ce genre de pages. Ensuite je voudrais dire que Saria et Galadriel auraient pu être mieux soignées et beaucoup plus jolies de visage parce que je les trouve moches. De plus on a parfois l'impression, sur certaines cases, sublimes il faut le dire, que le dessin est purement fait à l'ordinateur (les visages et les mimiques du Doge). Pour d'autres cases on ressent davantage le coup de crayon (à partir de la page 55 jusqu'à la fin pour ne citer que celles-là). Les pages 30 et 31, qui me font étrangement penser au Caravage de Manara, sont vraiment magnifiques et je dirais même mémorables, des petits chefs- d'oeuvre. A la page 45 en haut à gauche et en bas, on dirait que Monsieur Federici a été influencé par l'art de Boris Valéjo dans la réalisation de ce corps splendide. L'une des cases les plus chouettes et des plus drôles est celle du haut de la page 14 avec l'énorme serveuse tatouée, matée vicieusement au derrière par un client. Elle me fait penser à Massmedia dans "Les Mondes Engloutis" ancienne et étrange série d'animation des années 80, l'ensemble est quand même cohérent. Le travail de Serpieri avec tous ses coups de crayon était pharaonique mais nos deux auteurs ont réussi à nous offrir du nouveau, un challenge extraordinaire dans la réalisation de cette conclusion. Les décors sont somptueux mais trop rares. L'ensemble, avec tous ses défauts est carrément très réussi. Quelle muse a donc bien influencé nos deux compères ?
Je spécule sur l'usage de l'ordinateur je le précise mais l'ordinateur, bien qu'il puisse aider ou assister le travail artistique, aura pour finalité de détruire l'art de la bande dessinée, il n'y a rien de bon qui en ressortira. Et même si les lecteurs adorent, c'est un problème de conscience que les auteurs doivent se poser a eux-mêmes.
Saria fait partie de ces bandes dessinées qui marquent en profondeur et dont on ne sort pas indemne. A acheter sans problème, petit rappel des volumes précédent en début d'album, ce qui est capital et dont beaucoup d'albums sont démunis. Je résume : un rappel des aventures passées, un déroulé parfait, une conclusion et une fin de trilogie. Une série des plus sombres je dirais même la plus sombre et j'aime toutes les histoires sombres.