S
eptembre 1347, une frégate de l’ordre des chevaliers hospitaliers patrouille en mer Méditerranée afin de traquer les infidèles et de rendre sûre la navigation des marchands chrétiens. Sur le pont, Roscelini raconte ses exploits de vieux combattants à Baldus, un pied tendre. Seulement, le petit n’est pas dépourvu d’expérience. Il était sur le Buzard. Le navire que les Turcs ont ravagé, celui-là même où un seul survivant a été chargé de conter la férocité des guerriers ottomans. Soudain, un bâtiment byzantin est repéré et aussitôt abordé. Le silence. Plus d’âme qui vive. Tous les corps sont rongés par la pestilence. L’intrépide éphèbe, mouchoir sur le nez et torche à la main, pénètre dans les appartements du Castepan. Le capitaine est décédé en serrant contre lui un coffret en or richement décoré. À l’intérieur, une sorte de médaillon dont une face représente un labyrinthe et l’envers un miroir. Lorsque Baldus porte son regard sur l’objet, le tonnerre se met à gronder, les rats sortent de chaque recoin du bateau et un mystérieux cavalier apparaît.
« Et je vis un cheval de couleur pâle et celui qui le montait se nommait la Mort et l’Enfer le suivait. » Saint-Jean, livre de l’apocalypse, 6 : 8.
Éric Stalner et Cédric Simon construisent un récit choral autour des destins de Baldus et d’Alixe. Cette dernière est condamnée par la vox populi à errer loin de sa terre natale en raison des talents d’apothicaire de sa mère. Elle a survécu, contrairement à sa sorcière de génitrice. Et elle nourrit, de facto, une profonde haine à l’endroit des hommes. De l’autre côté, le frère hospitalier a miraculeusement échappé à un massacre qui tient du surnaturel. Mirage ou clairvoyance, il est poursuivi par un des cavaliers de l’apocalypse. Dans leur fuite respective, la libertaire comme le religieux affrontent tous les archétypes de l’obscurantisme de l’époque, de la femme dont les actions sont dirigées par le Diable aux Juifs boucs-émissaires ayant tué le fils de Dieu. De cette manière, la narration est émaillée de scènes consacrées aux flagellants qui rejouent la Passion du Christ, à la manie dansante qui sévit dans les villages du nord de l’Italie ou encore aux terribles pogroms qui ravagent la communauté des enfants d’Abraham. Comme attendu, ces deux personnages se rencontrent au terme du présent ouvrage, laissant planer bon nombre d’interrogations sur la suite à venir.
D’une incroyable productivité, Éric Stalner réalise presque trois albums par an et toujours en maintenant un niveau élevé d’exigence. Sa ligne classique et réaliste s’accommode parfaitement au Moyen-âge tardif. Dès les premières planches, l’illustrateur reproduit admirablement une embarcation sous plusieurs angles. Il donne ainsi le ton et poursuit tout au long de l’opus sur cette belle lancée graphique. Opportunément, l’éditeur les Arènes a complété cette parution d’un carnet de croquis permettant aux lecteurs d’apprécier le trait du dessinateur, sa gestion des noir et ses déliés. Quant à la mise en couleur de Claudia Palescandolo, elle est à l’avenant. Avec une palette réduite et sans fioriture, elle contribue à la restitution historique et renforce l’emprise du récit dans le réel.
En rappelant périodiquement des points d’histoire, Le quatrième Cavalier, premier volume de La Grande Peste tente le jeu subtil d’évoluer entre l’ésotérisme et la simple folie. Mais les esprits chagrins seront-ils suffisamment nourris de cartésianisme ?
Cet avis porte sur les 2tomes lus "dans la foulée".
N'étant pas trop "histoire gore, violente" , j'ai hésité et finalement j'ai franchi le pas. Bien m'en a pris!
Et fait, cette "Grande peste" n'est que le support pour narrer l'histoire d'un illuminé et de celle qui croit cependant en lui.
Le scénario est bien construit, le dessin précis.
J'ai apprécié les rappels historiques.
Parfait!
On se plonge directement autour d'un navire qui traque les pirates afin de rendre plus sûre la navigation en Méditerranée. Je dois dire que les premières pages sont assez terrifiantes pour nous plonger dans l'horreur.
Cette maladie qu'est la peste a fait beaucoup de morts en Europe en décimant près d'un tiers de la population soit à peu près 25 millions de personnes selon les historiens. C'est énorme surtout si on compare à l'actuelle épidémie de COVID. Il est clair qu'il n'y avait pas encore les progrès de la médecine. Pour autant, parfois la science ne permet pas de venir à bout de chaque épidémie.
On voit comment la propagation d'une maladie peut avoir lieu d'un animal qu'est le rat à l'humain puis entre les humains. L'enfer avec son cortège de morts se déplace, c'est un peu cela l'image.
On va progressivement comprendre au fil des chapitres bien séparés qu'il s'agit de suivre le destin de deux personnages à savoir Baldus et Alixe qui vont se rejoindre à la fin de ce premier tome. A noter que les auteurs ont fait dans l'originalité au niveau de la construction de ce récit fleuve.
J'ai bien aimé les explications qui sont données dans les intermèdes sur la situation de l'Europe pendant cette période assez troublée. Ainsi, on apprendra que l'âge d'or de la chasse aux sorcières n'a pas été le Moyen-Age comme on aurait pu le croire mais la Renaissance. Il y aura d'autres choses assez intéressantes à découvrir dans le même registre. Bref, cela a été assez instructif également comme lecture.
Un mot sur le graphisme pour dire qu'il m'a tout à fait convenu avec de belles planches et un souci du détail dans les décors. Cela a rendu la lecture fort agréable. On pourra relever également une excellente mise ne page et une belle colorisation de l'ensemble pour tenir compte des ambiances. Bref, sur la forme, que du bonheur.
Certes, cette lecture fait écho à ce qui se passe actuellement comme pour rappeler que les épidémies ont toujours existé dans l'histoire. Dans ce contexte, c'est toujours intéressant de voir comment ont réagit les gens il y a quelques siècles contre le fléau de la grande peste.
Bienvenue en l’an de grâce 1347… Enfin… Bienvenue… Bienvenue… Pas si sûr que ça…
Baldus et ses frères Hospitaliers naviguent en Méditerranée. Leur mission ? Expurger le « Mare Nostrum » de la présence des Turcs. Sur leur route, une galère… Une galère byzantine… Une galère qui se laisse facilement aborder… Et pour cause… Ils sont tous morts à bord ! L’air de la mer ne saurait chasser la pestilence qui règne sur le navire. Dans sa cabine, le cadavre du capitaine s’accroche à un coffret, comme si, même mort il voulait interdire à quiconque de s’en emparer… Baldus le saisit… L’Hospitalier l’ouvre. Et…
Critique :
J’aurais pu passer un excellent moment de lecture si l’auteur, Cédric Simon, s’en était tenu à des faits historiques et nous avait narré la grande peste de 1348 à travers un chouette récit d’aventures réalistes. Mais voilà, un peu d’ésotérisme et de fantastique, un peu beaucoup même, lui ont paru de circonstance pour rendre son récit plus intéressant. Et c’est là que j’ai décroché et que je me suis ennuyé plus d’une fois. Le découpage de l’histoire finit par perdre le lecteur à cause de cette manie de certains auteurs de vouloir glisser de la magie (ou de la sorcellerie, ou un châtiment divin) dans un récit où les faits historiques suffisent amplement à l’histoire. Je n’achèterai donc pas le deuxième et dernier tome de ce récit finalement plus fantastique qu’historique malgré les qualités indéniables du dessin d’Eric Stalner (qui a aussi participé au scénario). Claudia Palescandolo réalise une belle mise en couleurs.
Amis sorciers, exorcistes et autres mages, ce livre est fait pour vous. Historiens et autres passionnés d’authenticité passez votre tour !
Très décevant !
La mise en page est splendide (comme souvent chez Stalner), le dessin superbe, un peu flamboyant peut-être, dans l'ensemble un régal pour les yeux, et le contenu est ... indigent ? L'Histoire - celle avec le grand H - sert juste d'alibi pour un récit qui se noie dans l'ésotérisme mâtiné d'un peu de fantastique. J'avais pensé le thème intéressant, au final j'ai trouvé le scénario presque hors sujet. Très dommage.
Déçu !
Une seule remarque : mais pour quoi intituler cette BD La grande peste ? On est plutôt face à une BD fantastique qui s'égare en disgressions narratives sans intérêt, l'excellent dessin de Stalner n'arrivant pas pas à porter un scénario défaillant.
Eric Stalner était pour moi jusqu'à présent simplement un nom d'auteur. Je feuilletais parfois ses albums depuis une trentaine d'années mais je n'en avais encore jamais acheté un seul. Et puis l'autre jour, une librairie que j'aime fréquenter venait de mettre en pile ce premier tome de la grande peste. La couverture était aguicheuse. Deux minutes plus tard, je l'achetais.
La lecture de cet album achevée, l'idée que j'avais de ce dessinateur / auteur avait subitement et définitivement changé. Comme quoi il faut parfois se méfier de soi même si on ne veut pas passer à côté d'un beau livre.
Eric Stalner est un dessinateur qui possède un sens de la mise en scène et du rythme graphique évident. Il promène le lecteur dans chacune de ses planches avec une grande fluidité. Tout coule, tout est limpide, tout s'appréhende aisément. Sa deuxième grande force est l'expressivité des visages des personnages. Les trognes sont caractérisées, les sentiments, sensations et humeurs s'y lisent avec une rare évidence, on y croit sans difficulté. Il sait comment cadrer chaque point de vue de son récit, où et comment y placer choses et personnages. Cela donne l'impression d'un grand naturel et d'une évidence pour nous donner à voir et à comprendre au mieux l'histoire qu'il déroule sous nos yeux. Ses décors racontent eux mêmes plein de choses sur l'atmosphère du récit. Tout cela est merveilleusement incarné et vivant. Ni tout à fait réaliste, ni vraiment caricatural, le style d'Eric Stalner est à mi chemin avec beaucoup de cohérence graphique. Les scènes nocturnes sont par ailleurs impressionnantes; la nuit devient presque palpable pour le lecteur (le travail de la coloriste y est sur ce point pour beaucoup). Bien sûr tout n'est pas parfait car le style ici adopté est plus jeté que dans l'oiseau rare par exemple, plus nerveux et sommaire aussi ce qui explique certaines cases ou planches moins léchées mais l'énergie graphique déployée est bluffante. Car la mise en couleur de Claudia Palescandolo, celle-là même qui avait sublimé le dessin de Luigi Critone dans Aldobrando, apporte beaucoup dans la construction des ambiances avec une gamme de couleurs assez réduite. Elle a l'art de donner un relief lumineux aux visages ou de faire ressentir la nuit et la pénombre avec justesse et délicatesse.
Le scénario quant à lui est une franche réussite. Chaque séquence étant conçue comme un tout qui pourrait se suffire à lui même, on avance dans le récit en enchainant les satisfactions comme si dix histoires nous étaient racontées dans un grand récit qui demeure plein de mystère. On y prend conscience des impérieuses incidences que cette terrifiante épidémie de peste débarquée en 1347 a pu avoir sur ce monde médiéval. Comment, au delà de la mort elle même, cette maladie a affecté toute une société.
Les dialogues bien troussés sonnent justes et n'en font jamais trop. On s'instruit, on s'interroge, on s'inquiète, on s'émerveille, notre curiosité est sans cesse piquée; c'est là à mon sens la description d'une œuvre de fiction réussie, lorsque les ombres projetées sur le mur nous donnent l'illusion d'apercevoir la vie elle même. Ce premier volume de La grande peste est une très grande réussite et surtout un très bel album.