I
l était là ce matin quand vous êtes partis au travail. À l’heure du repas, aussi, mais vous n’étiez pas sur place. En fin d’après-midi, vous l’auriez certainement vu, si vos yeux s’étaient arrêtés sur ce bout de la rue. Beau temps, mauvais temps, il est là et lui vous aura peut-être remarqué, ou pas, il y a tellement de gens qui passent.
Fable contemporaine qu’aurait très bien pu imaginer Christophe Chabouté, À hauteur d’homme raconte la destinée tragique d’un individu qui a tout perdu. SDF tendant la main pour une pièce et, pourquoi pas, un peu de chaleur humaine, il ressasse éternellement les mêmes mots en attendant… En attendant quoi ? La rédemption ? Le pardon ? La fin ? Peu importe, si les gens et le temps filent, lui reste figé dans un éternel présent avec sa culpabilité et ses rêves fracassés.
Régis Penet s’est mis dans les yeux de l’autre pour renforcer son récit. Intégralement réalisée en vue subjective, celle de ce mendiant assis et adossé à son mur, la narration s’articule autour d’un long monologue vaguement cohérent et implacablement terrifiant. Ce qu’il voit ? Principalement des jambes qui filent, des enfants qui lorgnent, quelques truffes qui le reniflent et, surtout, des regards qui le fuient. Parfois, pas souvent, une main s’avance avec une piécette, mais jamais de vrai réconfort ou de réelle aide.
Pas de jugement, ni de morale, seulement un morceau de réalité brut de décoffrage - celle que tout le monde craint et feint d’ignorer - montré dans toute sa discrète violence, À hauteur d’homme tape là où ça fait mal, à l’humanité, la nôtre plus précisément.
C'est une BD qui montre le regard d'un vagabond dans la rue qui récolte un peu d'argent des passants. Il a un regard éminemment subjectif sur le monde qui nous entoure. La foule est à la fois personnelle et impersonnelle.
On observe au gré de la narration le parcours d'un homme qui fut jadis heureux avec une femme et une fille qu'il aimait. Un peu comme chacun de nous. C'est difficile par la suite de voir qu'on peut terminer dans la rue.
Derrière le plus mort des astres, il a eu une vie. Les trajectoires de chacun peuvent être bien différentes. Il y a également les accidents de la vie qui peuvent mettre un homme sur le carreau.
Il doit affronter l'indifférence mais parfois le mépris. C'est joliment mise en image dans une sobriété en noir et blanc.
A la base, il y a eu la trahison d'un ami qui lui a pris les êtres qu'il aimait. Cependant, il demeure responsable de se propres actes de haine mal dirigée. Je ne dévoilerais rien de l'issue forcément dramatique.
Une œuvre triste qui pousse à la réflexion sur ce qu'il ne faut pas faire pour louper sa vie. C'est une leçon qu'il nous donne avec le plus grand des regrets. Encore faut-il la retenir avec humilité.