L
es Champs d’honneur est l’adaptation du roman éponyme écrit par Jean Rouaud et couronné du célèbre Prix Goncourt en 1990, une grande récompense pour le premier roman d’un homme qui était jusqu’alors vendeur de journaux. Il remonte le temps pour nous narrer la mort de son grand-père et par la suite celle d’autres membres de sa famille. Il nous invite à un voyage sur trois générations pour finir là où tout a commencé, lors de la Première guerre Mondiale.
En pariant sur l’adaptation de succès littéraire, Casterman prend des risques, surtout lorsqu’il s’agit d’un roman intime et très avare en dialogues. L’éditeur ose également en confiant le dessin à Denis Duprez, son style sort des sentiers battus, éloigné des classiques de la bande dessinée. Il a déjà travaillé sur des œuvres imposantes comme Frankenstein ou Othello, mais ici il souhaitait s’éloigner de ces univers fantastiques ou épiques pour se concentrer sur un texte plus contemporain.
L’éditeur a-t-il eu raison de faire ce pari ? Oui, l’ensemble est visiblement assez réussi et on ne peut rester insensible à la performance technique de Duprez. Il a laissé tomber l’acrylique pour l’aquarelle, il joue sur la transparence et le résultat est somptueux. Les ambiances sont superbement retranscrites jusqu’à nous faire ressentir le vent qui souffle ou la pluie qui pèse sur toute une journée avec cette impression permanente de grisaille. Les limites de cette technique sont cependant vite trouvées et les visages manquent cruellement de personnalité. Sa volonté d’y mettre de la couleur les rend un peu trop couperosés. Dommage que ces gros plans nuisent un peu à l’ensemble. Il reste que ce procédé a sans doute placé le récit hors du temps, s’éloignant du roman original, lui conférant ainsi une nouvelle dimension.
Au-delà de ce talent indéniable du dessinateur, le récit suscite-t-il beaucoup d’intérêt ? Pas forcément, car le roman s’attardait visiblement sur beaucoup de détails en invitant au fur et à mesure le lecteur à imaginer la scène. Ici, elle subit la subjectivité de celui qui l’a réalisée et surtout le rythme imposé par la bande dessinée et n’incite pas à la contemplation, but sans doute recherché par Rouaud. Ceci dit, c’est émouvant de suivre le parcours simple d’une famille des années 60 aux tranchées de la guerre 14-18.
Les Champs d’Honneur est certes un album d’assez bonne facture, mais il s’adresse quand même à un public averti, sensible à ce genre d’histoire, profondément humaine.
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