E
ster aspire à écrire une pièce de théâtre. Très inspirée par sa mère, elle construit un drame où une femme fatale dépasse sa condition de prostituée. Afin de donner corps à son récit, elle invite son frère jumeau Jacopo et leur ami Hans à interpréter les scènes-clefs de sa tragédie. Pendant cet été torride de 1933, les adolescents débordant d’insouciance profitent d’un statut aisé pour vivre la Dolce vita. Mais rapidement, l’avènement des régimes fascistes dans leur patrie respective (Italie et Allemagne) va provoquer des tensions entre les familles Macra et Von Strombiz. Les intérêts financiers communs ne suffiront alors pas à éluder la haine que la « race » aryenne éprouve à l’égard des Juifs.
De Venise à Berlin, Giovanna Furio élabore un scénario s’étalant sur plusieurs années sur fond de montées du totalitarisme en Europe. D’apparence convenue, l’histoire d’amour impossible de deux éphèbes se révèle plus dense et moins stéréotypée qu’attendue. En effet, au fil des pages, l’écrivaine écarte le triangle amoureux et concentre son récit sur les parents des protagonistes. Habilement, les différentes intentions se font jour et les bassesses ne glorifient ni les uns ni les autres. Par ailleurs, savamment déployés les seconds couteaux, notamment Guiseppe et son cousin Alvise, se révèlent aussi intéressants que probablement déterminants dans la suite des événements. In fine, les grands arcs narratifs démontrent une belle maîtrise avec pour point d'orgue la dernière séquence au cliffhanger parfaitement amené.
À l’élégance de l’écriture, Marco Nizzoli répond par la délicatesse de son trait. L’artiste a débuté sa carrière en confectionnant des albums érotiques pour divers éditeurs italiens (Simbaby, Il Vizioso Mondo di Keto, Il Distinto Fleev, La Bella Estate). Il ne verse pas pour autant dans l’indécent. À l’inverse, l’illustrateur suggère les relations charnelles des jeunes amants, par ses cadrages et par le jeu de lumière. Au contact de Giovanna Furio (La route de la vie), le style graphique du dessinateur transalpin a gagné en subtilité. Ses cases détaillées et profondes sont embellies par des aquarelles à l’aspect un tantinet vieillis. Cette mise en couleurs raffinée, valorise l’immersion dans l’époque pré-Seconde Guerre mondiale et marque un contraste entre l’âpreté du propos et la légèreté des visuels.
Les rêves brisés, premier tome du diptyque Fleur de Nuit, touche à la fois par la sincérité des émotions abordées et par la beauté de sa peinture. Sorti en catimini, le titre constitue une des belles surprises de ce début d’année !
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