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i Roman de Renart, ni Chanson de Roland, cette Chanson de Renart s'annonce comme un carambolage de genres. La tendresse de Sfar pour le goupil n'est pas surprenante. Le Chat du rabbin pourrait en être un lointain cousin. Ils partagent la même verve, la même impertinence... et si Sfar retrouvait les siennes à l'occasion de cette fantaisie médiévale ?
Malheureusement, il n'en est rien. Que reste-t-il de la vivacité ? Du dynamisme ? Du côté sale gosse réjouissant ? Cette chanson paraît bien fade. Tout y est trop sage. Pourtant, les ingrédients d'un joyeux bordel sont bien présents. Dans un Moyen Âge rempli de magie, humains et animaux anthropomorphes cohabitent comme ils peuvent. Les temps sont durs. Sfar réinvente Renart en nobliau désargenté, tellement menteur et escroc qu'il est tout autant honni par les régnants que par le peuple. Il se retrouve malgré lui chargé d'une mission dont dépend le sort du monde, rien de moins.
Le scénario tente de faire résonner les préoccupations actuelles dans un univers marqué par l'imaginaire. Il parle de l'importance de la fiction dans le monde, de la place de la femme, de grandes épidémies, de la stupidité des gens lorsqu'ils sont en groupe, trop occupés à chercher un exutoire à leur colère pour ne pas se rendre compte qu'ils agissent comme des abrutis... Malheureusement, il ne fait qu'effleurer chaque sujet. Aussi pertinents soient-ils, à quoi bon les aborder si c'est pour ne rien en faire, ne pas en rire, s'en offusquer ou y trouver matière à réfléchir ? Malgré de louables intentions, il n'y a aucun mordant dans ce récit. Même le dessin manque singulièrement de folie. La patte de son auteur reste présente, mais trop adoucie. Ce dernier a gagné en maîtrise tout en perdant cette exubérance qui lui apportait ce petit supplément d'âme. Cela résume tout le problème de cette nouvelle série, inspirée mais pas adaptée, des contes moyenâgeux. Son renard ronronne au coin du feu au lieu de galoper dans la forêt pour fuir les conséquences de quelques mauvais coups.
== Avis pour les deux tomes ==
Après un départ en force -- le dîner avec le diable et la mort est la meilleure partie de l'album -- l'arrivée du magicien Takka vient un peu brouiller les cartes. Sfar ne semble plus trop savoir où mettre les pieds, et le tout manque cruellement de cohérence.
Dans le tome 2, la rencontre avec le père de Takka est formidable, mais encore une fois, l'album manque de fil conducteur et la lecture est sens dessus dessous.
D'ailleurs, d'avoir mélangé réalisme historique avec fantaisie n'était peut-être pas la meilleure idée. Sfar indique en postface du premier album qu'il voulait d'un héros qui n'en soit pas un comme ceux de Disney; qui frappe et qui tue. Mais à part manger des pigeons voyageurs, que fait-il, au juste? Pas grand-chose.
Je suis d'accord avec cette remarque de Sfar : "Fuyez les traîtres qui prétendent vous faire la leçon au lieu de vous raconter une histoire! [...] Ce sont toujours des raisons irréfutables qui les poussent à utiliser le livre pour vous faire la morale. Montrez-leur les dents, tirez-leur la langue et rappelez-leur que le romanesque ne sert pas à ça."
100 % d'accord. Je suis toujours le premier à dénoncer les histoires moralisatrices en BD. Ironique un peu, par contre, que j'ai l'impression que Sfar a déjà fait pareil dans ses BD.