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rométhée se joue aisément de Kratos et dérobe le Feu Sacré de la connaissance. Il descend aussitôt sur Terre pour délivrer son apprentissage aux mortels. L’instruction est rude puisque le Titan est vigoureux et qu’il doit nécessairement honorer chaque âme de son divin phallus. Jupiter est terriblement courroucé. Si l’Homme est éduqué, alors il se délivrera de ses chaînes et se détournera du mont Olympe. Le ciel témoigne ainsi de sa colère contraignant Prométhée à s’affranchir de tout consentement. Arrivée à ces fins, le transmetteur de savoir est enchaîné. Mercure, dieu des commerçants, des voleurs et des mensonges est désigné par les siens. Il va devoir amadouer l’espèce humaine dans l’espoir de reconquérir l’essence de cette infinie sagesse !
Ce vingt-quatrième opus de la licencieuse collection BD Cul ne met pas à l’honneur le sérieux et la pondération. Le collectif les requins marteaux offre à Geoffroy Monde (De rien, Poussière, Comment réussir) une récréation graphique et l’auteur plonge ardemment dans le plaisir des volumes et de l’évocation de la chair. L’artiste opte pour une relecture très personnelle et très colorée du mythe de Prométhée d’après le dramaturge antique Eschyle d’Éleusis (525 – 456 avant J.-C.). Il utilise tantôt des noms issus de la mythologie grecque (Prométhée, Apollon) et tantôt ceux provenant des écrits romains (Jupiter, Mercure). Il fait fi de la condamnation symbolique et éternelle délivrée par l’aigle du Caucase. Peu lui importe également, son frère Épiméthée dont l’étourderie est l’authentique instigatrice de l’acte de forfaiture envers les divinités. Et, de facto, l’illustrateur n’évoque pas davantage la femme offerte à ce Titan. Véritable cadeau empoisonné, Pandore est la première mortelle. Elle a reçu le don de la curiosité et une jarre à ne jamais desceller sous peine de déverser tous les maux de la création.
En résumé, l’éleveur de Tigre Mondain manipule un concept afin de raconter sa propre fiction orgiaque et voluptueuse où les saynètes drolatiques s’amoncèlent. Le prétexte lui permet de représenter un ensemble de relations impudiques, en couple où à plusieurs, quel que soit le genre. Sa mise en images distille une multitude de cadrages déformant son gaufrier au gré des prestations de gymnastique. Les positions explicites se succèdent, mais le traitement visuel crée une légèreté évidente. Le dessin adopte des courbes, plus ou moins denses, réalisées au feutre noir légèrement usé. La transparence du trait n’est ni renforcée par la peinture informatique, ni corrigée lorsque la ligne tressaute. Par ailleurs, le format de poche de la publication ne constitue pas un appel aux grands espaces et, a fortiori, aux merveilleux détails de fonds de cases. Le décorum est donc réduit à la portion congrue alors même que la temporalité, ô combien étonnante, aurait mérité des vignettes d’exposition.
Les traditionnels bonus libidinaux sont, hélas, condensés à une seule fausse publicité et une interprétation des personnages de la main de différents jeunes illustrateurs (Robin Pouch, Léa Muraviec, Élodie Shanta, Pavina, St019, Mélanie Allag et Naomie Chust).
Le privilège des dieux trônera fièrement à la section Enfer des bibliothèques en raison de la prodigieuse beauté de la palette et du style affirmé de son annal-iste, en revanche l’ouvrage ne se démarque pas de l’irrévérencieuse (et précieuse) production du squale bordelais.
Geoffroy Monde serait-il un génie (encore trop) méconnu ? Il fallait tout de même une certaine audace pour s’attaquer au mythe de Prométhée, et Monde n’en manque pas ! Son génie, peut-être, viendrait du fait qu’il a réussi à se l’approprier totalement, en le passant à la moulinette de son brillant cerveau malade, et ce, pour notre plus grand bonheur. Geoffroy Monde appartient assurément à cette catégorie d’auteurs qui ne fait rien de ce qu’on attend de lui, et c’est en toute logique qu’il a accepté de travailler avec ces brindezingues de Requins marteaux. En outre, quand il s’est agi d’étoffer leur collection « BD Cul » au format poche, pratique à tenir d’une seule main (mais pas que), notre joyeux créatif à l’imagination débridée ne s’est pas fait prier, il a même invoqué les dieux de l’Olympe !
« Le Privilège des dieux » commence avec Prométhée, un titan — l’auteur semble avoir décidément une passion pour les géants, qui tiennent déjà une place centrale dans « Poussière ». Et comme dans la série, ces géants ne veulent que du bien aux humains. Selon le mythe, Prométhée déroba le feu sacré de l’Olympe pour en faire don aux humains et le paya chèrement par la suite, sauf qu’ici, Prométhée fait don de sa personne au sens propre du terme, et le feu en question n’est rien d’autre que sa précieuse semence. Ce qui donnera lieu, on peut s’en douter, à quelques scènes pittoresques, d’autant que le titan n’attend pas le consentement de ses victimes, mais s’il y bien des actes de viol, le traitement humoristique permet d’éluder toute idée de violence ou de souffrance. Un exercice délicat que l’auteur gère parfaitement. Ainsi, le supplice de Prométhée sera beaucoup moins pénible — Geoffroy Monde ne fait pas dans le gore et on lui en sait gré — mais ce personnage va dès lors vite être éclipsé au profit de Mercure, qui se verra confier par les dieux la mission de récupérer ce « cadeau » accordé à toute l’humanité par Prométhée. Le même processus mais à l’envers. Curieusement, Mercure est un dieu romain et on se demande un peu ce qu’il fout sur l’Olympe, mais l’auteur n’est pas à un anachronisme près, d’autant qu’on l’a bien compris, tout est permis ici, on est clairement dans le décalage et l’absurde ! D’ailleurs, il ne faudra pas chercher à tout comprendre. Si l’on y voit pas mal de références, certaines ne feront sens que pour l’auteur, si tant est qu’il y en ait un.
Le feu sacré de la connaissance est donc ramené ici à une allégorie altruiste de la liqueur séminale masculine, un « feu de la connaissance » qui vous remue et vous chauffe les entrailles en règle et fournira à notre beau gosse bien musclé et bien membré qu’est Mercure — contrairement à Prométhée dont paradoxalement on ne distingue qu’une chaste protubérance — le prétexte idéal pour conquérir les foules et tirer sa crampe partout où il passe… et avec le ou la premier(e) venu(e), jeune, vieux, beau, moche, chauve ou chevelu… Loin du mythe, Mercure est passé du statut de dieu du commerce et de messager ailé à celui de queutard insatiable et expert dans l’art du plaisir. Ses « superpouvoirs » lui permettront de forniquer avec l’humanité entière – pour cela, il vaut mieux être bissexuel — pendant 1.000 ans, de l’Antiquité à nos jours (sic)…. Meilleur WTF du récit, il connaîtra même le grand amour avec Elliott Ness…
Menée tambour battant, cette épopée drolatique ne cesse tout au long du récit de prendre le lecteur par surprise (un peu à la façon de Mercure, qui déboule sans crier gare avec son énorme chibre pointé vers le ciel). Le lecteur est bringuebalé dans un tourbillon de rebondissements à travers les époques et dans mille lieux différents, sur un rythme démentiel accentué par moult ellipses chronologiques. C’est très souvent saisissant, parfois drôle, mais toujours jubilatoire. Cet OVNI éditorial, qui équivaut à une prise de champignons hallucinogènes, a le mérite de transcender les codes du manga en y intégrant façon puzzle cet humour au 38e degré si européen, et c’est sans doute là que réside une grande partie du génie de Geoffroy Monde. Un petit must de pop-culture qui, comme toujours chez cet auteur décidément intéressant, reste très graphique, à la fois dans le dessin et la mise en page, où le sexe, tout en étant outrancier, reste « présentable », où les attributs sexuels apparaissent tels des friandises alléchantes.
« Le Privilège des dieux », objet insignifiant au premier abord par son format poche, se révèle un périple original tout à fait extravagant. On ne sait si Geoffroy Monde a voulu produire là un manifeste hédoniste ou un simple objet de divertissement, mais nom de DIEU une chose est sûre, nous avons là un vrai PRIVILÈGE de lecteur ! Un lecteur qui pourra se délecter de ce « feu sacré », toutes sexualités confondues bien sûr !