L
a guerre est terminée. Le Japon, vaincu, est à genoux. Tokyo est en ruine et la misère rampe partout. Sengo raconte la survie dans ce cloaque. S'appuyant sur la dérive de deux soldats fraichement démobilisés, le truculent Kadomatsu et le mélancolique Kawashima, Sansuke Yamada dresse un panorama terrible des conditions de vie de l'époque.
Ce troisième tome s'intitule Familles et s'interroge sur ce qu'il en subsiste au cœur de cette débâcle. La famille n'y est pas à comprendre nécessairement au sens littéral. Autant que les liens du sang, c'est aussi un sentiment d'appartenance dont il est question. Les deux principaux protagonistes rencontrent d'abord un couple réduit à la plus humiliante des activités pour survivre. S'ils sont ensemble physiquement, la fracture qui les éloigne apparaît béante. Survient ensuite une bande d'enfants des rues. Ils vivotent de petits boulots tout en échappant à la police qui veut les placer dans des institutions. Ils ignorent le sort de leurs parents, mais s'accrochent désespérément à l'idée qu'ils seront réunis, tôt ou tard.
Enfin, c'est le sort de la minorité coréenne qui est abordé lorsque Kadomatsu est soupçonné d'être impliqué dans une série d'agression visant des Coréens, accusés s'enrichir en profitant de la misère ambiante. Si les causes profondes de l'inimitié entre les deux communautés ne sont pas clairement expliquées (reportez-vous à Gen d'Iroshima si le sujet vous intéresse, et parce que c'est une lecture incontournable), le racisme est flagrant, entre injonction de solidarité entre les siens et rejet viscéral de l'autre. Et tant pis pour ceux qui se trouvent entre les deux mondes, comme Jang-Hee. Enfin, il y a la fraternité entre anciens combattants : les survivants, mais aussi et surtout ceux qui ne sont pas revenus.
Sengo ne paie pas de mine. Le style n'a rien de remarquable. Il est plutôt classique dans la forme et porté par un dessin solide, sans éclat particulier. Cette apparente banalité permet sans doute d'apporter une plus grande force à cette chronique tragique de l'immédiat après-guerre. Le récit est sans fard. Yamada Sensuke évite tout pathos, représentant la réalité avec une simplicité désarmante. Ce qu'il montre était alors la norme. Personne ne s'étonnait. Il fallait survivre, qu'importent les moyens. Les personnalités antagonistes du duo de héros permet de nourrit deux visions distinctes : l'un avance crânement, n'ayant par exemple aucun problème à s'improviser maquereau, l'autre s'abîme dans l'alcool pour oublier.
Ce manga interroge efficacement le lecteur. Il le secoue parce qu'il n'évite pas l'aspect profondément glauque de l'époque sans jamais tomber dans le voyeurisme ou la complaisance. Grâce à cette justesse de ton, l'auteur évite un trop-plein de noirceur qui aurait rendu l'ensemble difficilement supportable.
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