L
égèrement groggy par une trop longue absence, Fin Ueda-Soto s’aperçoit qu’elle est, pour la première fois, orpheline des Réseaux. Pourquoi ? Par brides, la mémoire de cette soirée lui revient… Désormais, une course contre la montre s’engage. Se souviendra-t-elle de tout à temps pour éviter cette catastrophe qu’elle a elle-même initiée ?
Square Eyes est probablement la révélation graphique de cette fin d’année, un peu comme l’avait été Moi, ce que j'aime, c'est les monstres en 2018.
Imaginée - au départ - comme une nouvelle qui fut finaliste de l’Observer's graphic short-story prize en 2010, le même qui consacra un an après Isabel Greenberg, Anna Mill et Luke Jones reviennent huit années plus tard avec… une dystopie de près de deux cent soixante pages !
À dire vrai, Square Eyes demande une certaine implication ! Tout d’abord, il y a beaucoup de choses sur lesquelles le regard doit se porter, tels le jeu dans les couleurs ou les textures puis ces phylactères parfois illisibles. L’analogie peut être faite avec des films comme Matrix ou Inception où les effets spéciaux prennent l’entendement à défaut en saturant le cerveau d’informations ayant un cadre conceptuel et des référentiels spatiaux exempts de tout cartésianisme. Dans cette société d’un futur proche, la connectivité permanente est la norme. L’existence devient relative et mouvante selon son accès aux réseaux. Ceux qui en ont les moyens échappent à un quotidien des plus sombres construit par des imprimantes 3D gigantesques qui recomposent sans cesse une ville qui n’est que l’écran sur lequel chacun projette ses illusions. Dans ces lendemains qui déchantent, la ségrégation sociale se fait par l’accès à la technologie et la société est atomisée par une interactivité électronique qui conduit à l’isolement…
Si cette réflexion sur l’IHM et l’urbanité ne démérite en rien malgré un scénario parfois abscons, notamment dans son final, tout cela est pratiquement relégué au second plan par le graphisme, hors norme, d’Anna Mill.
Alliant différentes sensibilités (pour ne pas dire styles), la jeune dessinatrice anglaise - qui se réclame d’Edmund Dulac, Winsor McCay, Moebius et Katsuhiro Otomo - est aussi à l’aise sur les scènes réalistes que sur les illustrations pleines pages d’une existence 4.0 ou les séquences monochromes d’une urbanisation fantomatique et hiératique. Mais, le plus intéressant reste la manière dont la designer britannique retranscrit cette virtualité de la vie, comment elle illustre à travers son dessin immatérialité des choses par le truchement d’allégories graphiques, tels ces doigts pianotant dans le vide ou ces superpositions de transparences pour rendre compte d’un univers holographique… Et que dire de ces dialogues organigrammiques et fleuris, de ces changements incessants de perspective afin d’explorer simultanément les trois dimensions de l’espace ou ces planches de transition aux tonalités pseudo-polarisées. Certes, l’accumulation pourrait apparaitre pesante, mais la façon dont Anna Mill figure et suggère tout cela force une forme d’admiration.
Square eyes est une véritable claque visuelle. Une grande dessinatrice vient (peut-être) de débarquer en France !
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