La 17ème édition 2019 des BDGest’Arts a vu un record historique tomber : 3.766 votants se sont exprimés pour désigner leurs favoris de l’année (+ 26 % par rapport à l’édition précédente).
Répartis dans sept catégories, les albums suivants publiés en 2019 sont primés par les membres de BDGest.com :
Le fruit de l’association Ayroles – Guarnido était on ne peut plus attendu et il n’a pas déçu. Les Indes fourbes (Delcourt) avaient dès son annonce des allures de blockbuster, statut qu’il a pleinement confirmé et assumé. Honoré par quelques prix prestigieux en novembre (RTL, Landerneau), il reçoit aujourd’hui le prix des lecteurs BDGest’ en ayant recueilli plus de 40 % des voix. Coup de cœur des chroniqueurs à sa sortie, Jean Milette soulignait alors combien “dans cette entreprise, les images de Juanjo Guarnido servent le texte d’Alain Ayroles, à moins que ce ne soit l’inverse. Pour tout dire, l’osmose est parfaite.” Le verbe est comme à l’accoutumée délectable, le graphisme soigné, chacun œuvrant en complémentarité pour suivre le parcours de Pablos, riche à souhait – le parcours – car ô combien mouvementé, dépaysant et peuplé de personnages remarquables. Le rire l’emporte là où les dents pourraient grincer et le cynisme surnager à l’inventaire des péripéties orchestrées et parfois subies par le vaurien mais le voyage sur le globe et le temps passent à toute allure dans ce copieux album savamment conçu par un duo d’experts. “Surtout ne pas travailler”, telle est la devise érigée en principe de vie par le père de Pablos : c’est à la fois savoureux et paradoxal de la voir relayée par deux artisans qui auront peaufiné leur projet pendant une dizaine d’années avant de le livrer au public pour le triomphe qu’on connait.
À la deuxième place, un solide western, Jusqu’au dernier (Grand Angle). Dans un format confortable pour un album traditionnel (65 planches) mais sans commune mesure avec Les Indes fourbes, Jérôme Félix parvient à construire une intrigue limpide dans sa construction, nourrie de nombreux rebondissements. Si c’est dans les gamelles bosselées en fer qu’on réchauffe les plus onctueux fayots (l’équivalent de nos vieux pots pour la soupe), cette "re-visite" accommode vengeance, armes à feu et morts forcément violentes sur fond de crépuscule d’une époque où le métier de cow-boy s’éteint, remplacé par le chemin de fer. Côté dessin, Paul Gastine impose sa précision pour composer une ambiance coutumière et sans défaut, que ce soit pour les décors ou les créatures - parfois provisoirement – vivantes.
Une série signée Nury - Vallée primée à l’occasion de sa conclusion, cela mérite-t-il d’être souligné ? Habitué au meilleur par le duo, le lecteur n’est pas pour autant ingrat et partage son enthousiasme à la fin de Katanga (Dargaud) en la labélisant Série 2019. L’Afrique et ses trafics, dans lesquels les occidentaux trempent (vanité qui consiste à croire qu’on tire les ficelles...), constituent un théâtre idéal pour dénoncer les arcanes du fric en s’épargnant l’ostentation au profit d’accents de comédie pure. Souvent exposés façon panoramique, l’action et les décors jouissent d’un degré de réalisme inspiré par une base historique. Authenticité dont s’affranchissent les personnages aux traits caricaturaux mais ô combien expressifs. “Et maintenant, vous travaillez sur quel projet, Messieurs ?”.
Lorsqu’il y a podium BDGest’, Émile Bravo n’est jamais loin. Pour Antoine Perroud, “avec le deuxième tome de L’espoir malgré tout, (il) continue sa grande œuvre. S’il met évidemment en scène le célèbre duo de la maison Dupuis, il voit plus loin avec cette tétralogie en devenir ; il raconte la deuxième guerre mondiale à hauteur d’homme ou, plutôt, d’enfant. (…) la lecture à peine entamée, impossible de ne pas être emporté par le flot des événements ! Petits et grands moments dramatiques s’enchaînent, se répondent et finissent par former une véritable fresque humaine profondément touchante.” Encore meilleur que le précédent. Le suivant, dîtes-vous...
Charles Burns qui livre un album graphiquement sans faille, mettant en scène des adolescents à une période-charnière de leur existence (pléonasme ?), sujets à fantasmagories au détour desquelles quelques références-hommages à des incontournables de la pop culture s’invitent. Oui, cela paraît être un terrain connu, arpenté. Mais les apparences sont réputées trompeuses et l’invitation vers autre chose, ailleurs, toujours tentante. Brian observe son reflet dans un grille-pain tandis qu’il couche sur un carnet un autoportrait sur les épaules duquel s’émancipe une forme cérébrale disproportionnée attirée par les airs. Laurie s’intéresse au jeune dessinateur, quand bien même sa collaboration à quelques super 8 peuplés de créatures aussi pernicieuses qu’invasives n’est pas sa principale qualité. Il tient à lui communiquer sa fascination pour les chrysalides vues dans L’invasion des profanateurs de sépultures, archétype de la série B de S-F. Voilà pour l’entrée en matière, limpide, du dernier Burns en date Ah oui, ça s’appelle Dédales (Cornélius) ; difficile d’imaginer alors que la ligne droite et le rationnel vont s’ériger en principes fondamentaux : tant mieux.
Autre style et autre ton pour le dauphin. Imaginé par Mark Millar, The magic order (Panini) décrit la lutte de pouvoir entre hommes de l’Art dans le domaine de l’illusion et des sorts. Mounir Moubariki dans son commentaire souligne que “l'histoire ne faiblit pas une seconde. (Dans) un univers bien pensé, (…) bien intégré, (…) deux mondes (ont) la possibilité d'interagir. (…) Les meurtres s'enchaînent et rivalisent de sadisme, instaurent une urgence en plus de donner de l'épaisseur au danger. Enfin, (soulignons) le final avec un twist bien caché et une conclusion à la hauteur. Immersif, avec du suspens, des combats, des rebondissements et des surprises” The magic order bénéficie du style sec d’Olivier Coipel, visiblement à l’aise lorsqu’il s’agit d’installer les protagonistes dans les ténèbres.
Sur la deuxième marche du podium en 2018 pour le premier tome des Montagnes Hallucinées, Gou Tanabe se retrouve cette fois tout en haut de l'affiche pour sa magnifique adaptation de Dans l'Abîme du temps de H.P. Lovecraft. Dans sa chronique, Christian Bernard-Cedervall évoque pour ce "point culminant de la mythologie cthulhienne", "un procédé narratif alternant, à l'aide d'un code couleur aussi astucieux que discret le présent avec les souvenirs et fantasmes". Car c'est bien dans l'utilisation de codes spécifiques au 9ème Art que l'auteur japonais parvient à "donner une chair inespérée à l'indescriptible". Pour frissonner au coin du feu pendant les longues soirées d'hiver, ne cherchez pas plus loin vers quel titre vous tourner.
Si les questions de vie et de mort sont également évoquées dans Éveil de Matsumoto, c'est dans un cadre beaucoup plus poétique que le lauréat de cette catégorie évolue. L'exposition de l'auteur à Angoulême, il y a tout juste un an, avait été particulièrement remarquée, notamment pour son travail réalisé sur Amer Béton et Number 5. Dans Éveil, il imagine un futur dans lequel la Nature et l'Homme se rapprochent. Il se dégage du dessin une force extraordinaire quand il s'agit d'évoquer les corps des personnages en train de danser, tout en offrant au lecteur de merveilleux instants contemplatifs. Les thèmes s'entremêlent invitant à une deuxième - voire une troisième - lecture, gage de qualité s'il en est.
À l'heure d'écrire ces quelques lignes, huit tomes de Beastars sont déjà parus en France, pour notre plus grand plaisir. C'est le premier qui est récompensé dans cette catégorie et c'est largement mérité. Ludivine Moeneclay indique dans sa chronique que Paru Itagaki "transpose la société humaine sur un campus d'université". Car oui, ce manga édité par Ki-Oon est bien une histoire campée par des personnages anthropomorphes qui "se partage entre mystère, drame et thriller, le tout, sur fond de théâtre : demandez le programme !".
Ce n'est pas une fourmi mais bien un éléphant qui a écrasé la catégorie Premier Album ! Le Château des Animaux a recueilli à lui tout seul plus de la moitié des suffrages exprimés, sans doute du jamais vu. Il faut dire que si le dessinateur en est à sa première réalisation, c'est loin d'être le cas du scénariste, Xavier Dorison, qu'on ne présente plus. Et quand, de plus, on s'aperçoit que le récit est inspiré de l'une des œuvres majeures de Georges Orwell, il y avait de quoi se lécher les babines bien avant de découvrir l'ouvrage. Grâce au travail de Félix Delep, ce fut un véritable festin. Pour Ludivine Moeneclay, c'est un "sans-faute pour ce jeune dessinateur avec ses illustrations de toute beauté : un bestiaire caricatural expressif et dynamique s'anime dans un découpage travaillé et une mise en scène étudiée avec sérieux. Ça sent presque le musc par ici." Du musc sans aucun doute, mais aussi un sacré talent qu'on aura sans aucun doute plaisir à retrouver très prochainement.
Du talent, il en est question également pour les auteurs de Métamorphoses 1858 qui signent tous les deux leur premier ouvrage. Au scénario, Alexie Durand dont David Roy soulignait dans sa chronique qu'elle "privilégiait, une fois n'est pas coutume pour l'époque, une attention toute particulière envers la défense des petites gens au détriment d'une aristocratie et d'une bourgeoisie qui continuent de se gaver de privilèges. Son binôme d'enquêteurs et la méthodologie utilisée afin d'aborder cette énigme ajoutent de l'engouement pour ce premier acte d'une trilogie où les frissons et le suspense sont garantis." Quant au dessin de Sylvain Ferret, "sa couverture soignée et surtout très énigmatique est une invitation à s'engouffrer dans l'album." Dans cet album et aussi dans les deux tomes suivants, parus à ce jour.
2390 votants et une seule voix d'écart entre les deux premiers, est-ce bien raisonnable ? Rejouer l’École des Fans pour une Catégorie Jeunesse est loin d'être une hérésie et nous avons décidé de faire un peu de place tout en haut du podium pour accueillir, côte à côte, Raowl et Le Fils de l'Ursari, deux albums aussi différents qu'appréciés par une très grande majorité de jeunes - et moins jeunes - lecteurs.
Dans Raowl, Tebo réalise, comme le souligne dans sa chronique Antoine Perroud, "la synthèse parfaite de ses deux mentors de toujours : l’humour pince-sans-rire de Lewis Trondheim et la tendresse acidulée de Zep." Comme références, on a vu pire. Mais le chroniqueur va plus loin : "Dans le même temps, le tempo endiablé, l’empilement de situations abracadabrantesques et l’ambiance on ne peut plus sympathique du récit démontrent qu’il a atteint, voire dépassé par moments, ses illustres collègues." Difficile de lui donner tort. "Sous des prémices très classiques, Raowl cache un trésor d’inventivité et d’énergie qui n’a pas à rougir face aux innombrables incarnations de Terra Amata."
Face à la déconnade, Le Fils de l'Ursari fait office d'enfant sage. "Tiré du roman de Xavier-Laurent Petit, le récit adapté par Cyrille Pomès oscille entre conte moderne et réalité." Ludivine Moeneclaey souligne aussi qu'"à travers le regard de l'enfant, la qualité du texte dégage une réelle force émotionnelle, distillée sans misérabilisme, mais avec innocence et espoir." L'espoir, c'est sans aucun doute ce dont la jeunesse a le plus besoin aujourd'hui. Il est distillé ici à travers une fable qui puise ses sources dans une actualité peu reluisante tout en mettant en exergue les valeurs éducatives. Un bouquin qui a évidemment sa place dans toutes les bibliothèques scolaires.
Enfin, Les Vermeilles de Camille Jourdy complète ce très joli trio. Cet imposant ouvrage de plus de 150 pages est l'exemple même du livre qu'on laisse traîner sur la table de chevet de son bambin pour lui en lire quelques pages au moment de s'endormir. Mounir Moubariki décrit "un album jeunesse brillant créé par une artiste au style affirmé qui sublime chacune de ses productions." Même si Noël est désormais derrière nous, il n'est jamais trop tard pour faire briller les yeux d'un enfant.
Comment savoir ce qui se passe Dans la tête de Sherlock Holmes (Ankama) ? L’homme est peu enclin aux épanchements spontanés qui dévoileraient le fil de ses impressionnants raisonnements. Et pas question d’attendre que la médecine légale reçoive le feu vert pour s’emparer du sujet, non, non, c’est l’esprit vif et en mouvement qu’on préfère le limier de Conan Doyle. Aussi, Benoît Dahan creuse-t-il le sujet – et la couverture avec ! - en multipliant les astuces pour mettre en images le cheminement de la pensée holmesienne pour une lecture rendue ainsi plus ludique et attentive. La démarche n’enlève en rien le respect évident du dessinateur et de son compère au scénario, Cyril Liéron, pour l’œuvre originale. Au contraire, au point d’être capable de séduire parmi ceux qui conservent à l’esprit le souvenir d’un classique un rien “raide”, elle en sort rafraîchie. Le jeu de l’originalité valait-il le surcoût lié au façonnage ? Un petit trophée décerné par des lecteurs exigeants apporte la réponse incontournable : “Élémentaire, mon cher...”.
Quelques suffrages derrière, la première image découverte en librairie d’un grand espoir de la BD. Écrasant vainqueur de la catégorie Premier album, Félix Delep est également distingué avec la deuxième place de la couverture du Château des animaux (Casterman). Imaginons, s’il a pu occuper la place du frêle chat blanc qui fait face au surpuissant taureau à son entrée dans l’univers de l’édition, l’accueil réservé à son premier opus peut-il conduire à inverser les positions lors d’une négociation future ? Evitons de nous perdre en conjectures... et de baptiser les canins rigides et aux ordres en les affublant de noms connus dans le microcosme (MODE boutade ON et smiley d’usage comme on dit).
Le Jury a finalement retenu Saccage de F. Peeters (Atrabile) pour son Prix 2019. Sensibles à la richesse des tableaux qui constituent cet album extra-ordinaire, les délibérants sont heureux d’offrir un nouveau trophée BDGest’, un an après celui décerné pour L’homme gribouillé (Delcourt) à l’issue du vote public dans la catégorie Récit court – Europe. Défi à tout poseur d’étiquettes, la succession de dessins n’est ni art-book (en dépit de la qualité du trait et des compositions), ni bande dessinée (les échos qui s’échappent et se répondent ici et là ne constituent pas de véritables séquences). Saccage apparaît au final davantage comme une vision, parfois traversée de fulgurances, d'épisodes qui conduisent au délabrement de l’écosystème par une humanité génératrice de monstres. Les caméos de créatures et autres fragments sortis d’œuvres prestigieuses fleurissent dans cet univers qu’on préfèrerait totalement imaginaire. La lisibilité - graphique mais pas que – est aussi parfaite que redoutable. Pessimiste ou seulement conscient ?
Apparu dans les librairies début janvier, Le dieu vagabond de F. Dori (Sarbacane) n’a pas déserté les esprits douze mois plus tard. Dans sa chronique BDGest’, Mounir Moubariki débordait d’enthousiasme en saluant ” une symphonie d'influences de diverses courants et un tourbillon de couleurs chatoyantes (dans lequel) chaque scène trouve sa force et envoûte. Cette poésie escorte jusqu'à son épilogue l'odyssée d'Eustis le faune déchu et de ses compagnons de route, véritable ode à l'Art, au voyage et à la rêverie. “ Fabrizio Dori a tutoyé le divin ; béate, l’assemblée des chroniqueurs chante sa gloire.
Du 12 au 30/12/2019, bdgest.com a organisé ses traditionnels BDGest’Arts. Pour la 17e année consécutive, les habitués du site (120.000 inscrits en décembre 2019) étaient invités à élire leurs favoris dans 7 catégories.
. Récit court Europe (one shot ou dyptique)
. Série Europe
. Comics
. Manga – Asie
. Premier album
. Album Jeunesse
. Couverture
Pour chaque catégorie, un Jury a établi une présélection de 10 titres maximum publiés en 2019 soumis au vote du public. Ce Jury était composé de dix membres inscrits sur le site, parmi lesquels on trouvait les administrateurs, des chroniqueurs réguliers, un libraire et des amateurs éclairés, tous gros lecteurs de bandes dessinées.
Pour la catégorie 1er album, l'album doit être la première œuvre publiée pour l’un des auteurs au moins.
Pour participer, il suffisait d'être un visiteur enregistré sur le site bdgest.com au moment de l’ouverture du vote, c'est-à-dire le 11/12/2019.
Une remise de trophées aux lauréats aura lieu à Angoulême le 31 janvier 2020.