Pour saluer la production éditoriale 2017, les BDGest’Arts se sont offerts à nouveau sept beaux lauréats. La quinzième édition de ce « vote du public » bien inscrit dans l’agenda du petit monde de la BD a en effet livré son verdict. Après deux semaines et demie et le décompte d’environ 2.200 bulletins numériques (chiffre en retrait par rapport à l’édition 2016), les albums suivants répartis dans sept catégories ont été distingués par les BDGestistes :
Le troisième album de Timothé Le Boucher, Ces jours qui disparaissent (Glénat) est un coup de maître. Il faut croire que jeunesse et maturité ne sont pas incompatibles, n'en déplaise à certains. Tout juste sorti de l'école des Beaux-Arts d'Angoulême, le jeune auteur en devenir s'est trouvé devant un choix cornélien : vivre de sa passion, la bande dessinée, ou travailler pour vivre, quitte à mettre de côté ses rêves de gamin ? Voilà la genèse de cet étonnant album publié dans la collection 1000 Feuilles des éditions Glénat. Lubin, lui, est un acrobate qui a opté pour une vie faite de plaisirs éphémères jusqu'à ce qu'un "alter ego", froid et pragmatique, lui croque petit à petit son espace vital. Jeux de fausses pistes avec le lecteur, parabole sur la place de l'homme dans la société, récit d'anticipation, existence traversée en un éclair... Tout ça dans un album ? Oui, et avec talent. Nul doute que ce premier trophée ne sera pas le dernier.
Une sœur de Bastien Vivès (Casterman) pousse à regarder par-dessus l’épaule de nos souvenirs. Que faisions-nous l'été de nos 13 ans ? À mi-chemin entre souvenirs et fiction, Bastien Vivès compose une histoire sensible sans être innocente, nostalgique sans être coupée de la réalité de notre époque. Son jeune dessinateur en herbe voit s'inviter une adolescente de quelques années son aînée, dans des vacances en bord de mer supposées à l'origine aussi calmes qu'ordinaires. La côtoyer sera synonyme de voie vers l'âge adulte. L'aisance de Vivès à restituer le mouvement a été abondamment saluée ; avec Une sœur, sa justesse dans la transcription des sentiments gravit un échelon supplémentaire. En immersion dans cette période parfois charnière, chacun pourra toucher du doigt, voire se remémorer, la curiosité d'Antoine, ses interrogations, le fil sur lequel on marche entre deux périodes de sa vie. Le bonheur de la complicité, le frisson des émois, la chaleur accompagnant la découverte des corps, la jalousie qui pique aussi. La palette est aussi riche que subtile. Et quel talent lorsqu'il s'agit de dessiner des jeunes filles...
NB : un récit court propose une histoire développée l'espace d'un one shot ou d'un diptyque.
Certes, les mauvaises langues diront qu'il aurait peut-être fallu attendre le cinquième et dernier tome d'Urban avant de penser à une consécration. Mais pourquoi bouder son plaisir quand chaque album tient en haleine son lectorat qui ne cesse de prouver son amour envers une série débutée il y a maintenant sept ans ? Si chaque scénariste impose au fil du temps une marque de fabrique, celle de Luc Brunschwig est sans aucun doute sa faculté à évoquer avec une infinie justesse les relations humaines. Quelle joie de suivre l'évolution de Zach depuis ses débuts dans la police de Monplaisir, de découvrir au fil des pages la folie à la fois créatrice et destructrice de Springy ou d'assister au destin tragique de Niels... Les fils narratifs se tordent et se tissent sous le crayon magique de Roberto Ricci qui a fait d'une ville imaginaire un terrain de jeu fantastique. Urban t4 Enquête immobile de Luc Brunschwig, Roberto Ricci & M. Linares (Futuropolis) est sur la plus haute marche du podium.
Un album signé Nury / Vallée éloigné d'un podium BDGest'Arts, ça n'arrive pas. Les pluri-palmés d'Il était une fois en France, ont déplacé leur scène en Afrique. Avec Katanga t2 (Dargaud), il est question dans les années 60 de décolonisation, théâtre propice où faire évoluer quelques spécimen de salopards de toutes engeances dans un environnement ad hoc, hostile et imprévisible. La nature humaine y est moins belle que le cadre. Les enjeux politiques s'entrechoquent, les fripouilles et autres mercenaires font défiler leurs trognes et, à la fin, qui raflera le magot ? L'autochtone ? Ce serait bien la première fois... Mais vous plaisantez, n'est-ce pas ?
NB: une série développe un récit sur trois albums au moins.
Fondu au noir de E. Brubaker, S. Phillips & B. Breitweiser (Delcourt) est un concentré. Dodu, certes, car il balance son histoire sur plus de trois cents feuillets. Concentré de polar, à base de meurtre, de gars louche, de starlettes trop étincelante, de course à la gloire, d'exercice du pouvoir, de coups de poings dans la gueule, de studios hollywoodiens, d'alcool et de sexe. Des scènes qui ont dû être tournées des millions de fois (nouvelles prises comprises) par des milliers d'acteurs stars ou restés anonymes. Le genre de cocktail qu'on nous a servi un milliard de fois. Mais quand c'est Brubaker et Phillips qui distillent, tu penses même pas à regarder s'il y a un parasol à la c.. sur le bord du glass...
Le deuxième cette année, c'est le lauréat de l'an passé (tout le monde suit ?) : Lazarus de Greg Rucka et Michael Lark (Glénat). Eve a subi bien pire que ce genre de mésaventure et gageons que sur ce terrain également elle saura revenir au premier plan. Et L'histoire ? Le duo aux manettes veille au grain. La vision anticipée d'un futur proche dans lequel la concentration des pouvoirs et des richesses s'est intensifié (aggravé diront certains) est solide. Manipulations, stratégie, révélations, action. La suite !
L’Enfant et le maudit vol 1 de Nagabe (Komikku), conte intemporel, l'emporte confortablement dans sa catégorie. À sa sortie, voici ce que nous disions de cette "histoire de deux pays, deux populations et surtout deux personnages fortement liés mais que tout oppose. D'un côté, le "professeur" : un individu très grand, entièrement noir et aux allures de diable cornu. De l'autre, Sheeva, une fillette lumineuse, pleine d'innocence et de candeur. Le symbolisme est omniprésent. Le sous-titre "Siúil a Rún" fait référence à une chanson traditionnelle irlandaise : une femme se lamente sur l'absence de son amant parti poursuivre sa carrière de militaire ; "siúil" se traduit par « Marche ! »et "a rún" est un terme affectueux. Cette précision prend pleinement son sens à la lecture, tant elle exprime l'attachement profond entre deux personnes. Cette relation est pourtant interdite et dangereuse car une malédiction menace les interactions contre nature. Nagabe, dont c'est la première œuvre traduite en France, démarre très fort avec cette série aussi étonnante qu'originale. Il crée un univers intimiste où la dualité domine. La différence, la peur de l'autre ainsi que les préjugés sont illustrés admirablement (...) la tension monte subtilement, au gré des révélations distillées intelligemment. Le ton passe de l'insouciance à l'inquiétude latente, de la confiance à la paranoïa. L'évolution de ce duo improbable est empreinte de sensibilité et d'humanité, d'autant plus que le reste du monde semble désespérément sombre et cruel. Cette noirceur est contrebalancée par la fine poésie qui se dégage du récit et n'en ressort que plus belle. Le graphisme, très particulier, captive d'emblée. Le trait fin, épuré, fait penser aux miniatures d'autrefois. Les trames travaillées et les contrastes de noirs et blancs sont utilisés brillamment dans les jeux d’ombre et de lumière et participent activement à l'instauration de l'atmosphère sibylline. La présence discrète de petites onomatopées parfait l'ensemble." Original.
Autre cadre, autre style, autre époque. Un jour pluvieux, la jeune Akira Tachibana se présente pour un job dans un restaurant familial. L'affaire est gérée par un homme entre deux âges, ordinaire pour tout dire. Effacé, s'excusant ou se justifiant à la moindre occasion, il n'a rien du manager "qui en impose". Il ne fascine ni ne terrorise son équipe. Pourtant, l'étudiante tombe sous le charme du quadragénaire à mille lieux d'imaginer qu'une femme telle qu'elle puisse lui déclarer sa flamme. Elle ose. Après la pluie vol 1 de Jun Mayuzuki (Kana) constitue le point de départ d'une comédie sentimentale, posée et délicate dans laquelle chacun, seconds rôles compris, trouve judicieusement sa place pour exposer l'état d'esprit et les questionnement de la protagoniste. Une heureuse surprise de voir ce manga si bien placé par les lecteurs de BDGest qui démontrent ainsi leur capacité à s'ouvrir à tous les genres.
Souvent le fruit d'une longue réflexion et d'un accouchement parfois difficile, un premier album a une saveur particulière. Éviter l'écueil de trop vouloir en mettre et de perdre le lecteur dans des considérations ou histoires trop personnelles n'est pas forcément aisé. Aude Mermilliod a puisé dans ses souvenirs de famille pour poser les bases d'une histoire touchante de trois personnages dont les existences s’entrecroisent au fil des pages. Prix Raymond Leblanc en 2015, Les Reflets changeants (Le Lombard) émeut sans doute parce que le récit évoque des thèmes universels et que les relations humaines sonnent juste, sans pathos inutile. Si quelques références plus ou moins marquées ont jalonné la conception de l'ouvrage - d'Edmond Baudoin en passant par Jean-Louis Tripp jusqu'à Frédérik Peeters - Aude Mermilliod a déjà imposé son propre style. Ses nombreuses astuces narratives - introduction silencieuse et contemplative avant les tourbillons de vie, un point de bascule en forme de feu d'artifice ou l'utilisation d'un chien pour lier des destins - prouvent qu'il faudra désormais suivre avec une grande attention ses prochaines créations.
Pour son premier album, L’aimant (Sarbacane), Lucas Harari, en bâtisseur soigneux, propose une intrigue intégrant une dose de légende tandis que la distribution des rôles ne plaisante pas avec les profils des personnages (on ne risque pas de confondre l’un avec l’autre). Dans une ambiance graphique évoquant les bâtiments de Swarte, des types modelés par Hergé revisité par Chaland ou Ted Benoit, voire une tentation de loucher vers Burns lorsqu’il conjugue bizarre et ligne franco-belge, la composition reste rigoureuse (impeccables séquences muettes), tout en s’autorisant quelques fantaisies (cases mutines faisant un pied de nez au gaufrier, prénoms qui se prêtent au double sens notamment). Côté couleurs, les tons bleus-noirs-rouges se côtoient sans fusionner. Le lecteur est happé dans la trajectoire obsessionnelle du jeune homme perdu dans un labyrinthe où plusieurs dimensions se mêlent (physique, relationnelle, émotionnelle). L’aimant est porteur de jolies promesses ; au point de rendre l’attente qui conduit au deuxième livre de Lucas Harari bien longue. Pour davantage qu'une confirmation, bien entendu.
Comment imaginer la défaite avec un titre pareil ? Après avoir emporté le titre de l’album Jeunesse de l’ACBD, le premier tome d’Imbattable de Pascal Jousselin (Dupuis) est aussi porté en triomphe sur BDGest ! Diaboliquement malin dans l’architecture de ses planches où les cases communiquent entre elles et évitent d’être des carcans pour les personnages, l’auteur semble s’être lancé 1.001 défis pour agencer le déroulement des multiples aventures de son personnage capé. Et sans jamais tomber dans l’aridité de l’exercice de style, en restant lisible par les plus petits et… les autres. Trop fort !
À un jet de noyau de terme de vote, le dernier tome des Carnets de Cerise a offert à ses lecteurs une conclusion à la hauteur des qualités que lui prêtent – à juste raison – ceux ont suivi quête et enquêtes de la fillette au cours des six derniers exercices. Le fond et la forme n'ont cessé de se bonifier. Cinq albums, quatre sélections dans le top 10 des albums Jeunesse de l’année (où le Jury avait-il la tête en 2016 ?), trois jolies deuxièmes marches de podium : ça vaut largement un tableau d’honneur, non ? Accordé.
Comme les éléments invincibles qu’elle expose, la couverture d'Ar-Men, l'enfer des enfers d’E. Lepage a tout emporté sur son passage. Il y a bien débat quant à savoir si tant de texte était bien indispensable pour accompagner le somptueux dessin, la puissance brute qu’il dégage, l’impression de ressentir l’humidité, le souffle, les embruns, facteurs de fragilité face aux éléments ont indéniablement imprégnés le chaland qui aura probablement ouvert le livre dans la foulée.
Shi t1 de Zidrou et Homs (Dargaud) est son dauphin. Qui sont ces femmes aux abois, poursuivies par des policemen qu’on imagine insensibles à leur fragilité et au motif de leur fuite ? L’angle qui renforce le sentiment d’instabilité et de danger, la couleur qui baigne entièrement l’instantané extrait d’une course-poursuite débridée, la détermination visible de leurs poursuivants inspirent l’envie de connaître le sort des deux fugitives. À noter, l’inversion de la place et du rôle des deux héroïnes et le choix d’une lumière très différente pour le deuxième tome.
Le Jury a souhaité saluer le travail des éditions de La Gouttière qui depuis quelques temps nous offrent (plutôt que nous inonder) des livres qui procurent le plaisir de les lire bien entendu, mais aussi la joie de les offrir a de jeunes lecteurs qui s’en régalent. Placer aussi naturellement deux titres (Philippine Lomar t2 et Sixtine t1) dans notre sélection 2017 mais aussi proposer des incontournables tels que Anuki, Enola, La pension Moreau, Trappeurs de rien ou les Supers lorsqu’on édite seulement une jolie poignée de titres chaque année, chapeau bas !
Le chouchou 2017 des Chroniqueurs BDGest , c’est Les Cent Nuits de Héro d’Isabel Greenberg (Casterman). Après L'encyclopédie des débuts de la Terre, déjà remarqué, l’auteure anglaise confirme qu’elle possède une « patte » qui rend son style graphique identifiable et plus convaincant encore, ce deuxième livre gagne ainsi à l'emploi de l’encre. Beau, subtil, intelligent, tout ce qu'on y trouve puise dans les mythes pour s'approprier et délivrer quelques messages nécessaires, sans les admonester car l'on s'amuse aussi. Ne me dîtes pas que vous ne vous êtes pas encore immergé(e) dans les deux-cents-et-quelques pages de ce remarquable conte bourgeonnant d'histoires et de personnages…
Du 15/12/2017 au 01/01/2018, bdgest.com a organisé ses traditionnels BDGest’Art. Pour la 15e année consécutive, les habitués du site (146.000 inscrits en décembre 2017) étaient invités à élire leurs favoris dans le cadre de 7 catégories.
. Récit court Europe (one shot ou dyptique)
. Série Europe
. Comics
. Manga – Asie
. Premier album
. Album Jeunesse
. Couverture
Pour chaque catégorie, un Jury a établi une présélection de 10 titres maximum publiés en 2017 soumis au vote du public. Ce Jury était composé de dix membres inscrits sur le site, parmi lesquels on trouvait cette année les administrateurs du site, des chroniqueurs réguliers et des amateurs éclairés, tous gros lecteurs de bandes dessinées.
Pour la catégorie 1er album, l'album doit être la première œuvre publiée pour l’un des auteurs au moins.
Pour participer, il suffisait d'être un visiteur enregistré sur le site BDGest.com au moment de l’ouverture du vote, c'est-à-dire le 15/12/2017.