Quand Alex Alice est venu présenter sa dernière création à Angoulême, en janvier dernier, curiosité et impatience ont rapidement envahi l'auditoire. Curiosité et impatience d'imaginer l'auteur de Siegfried et du Troisième Testaments'essayer à la couleur directe, de parcourir l'histoire du Château des Étoiles dans trois fascicules très "vintage" façon vieux journal du 19e siècle ou de lire un récit puisant dans les univers de Jules Verne et de Miyazaki. À quelques jours de la sortie du troisième numéro des aventures de Séraphin, qui ont déjà conquis une grande majorité de lecteurs, Alex Alice revient sur les prémices et, surtout, la réalisation de ce projet.
Cette histoire est basée sur des idées et des envies que j’ai depuis longtemps. Cependant, l’idée précise de ce récit date de 2008, alors que j’étais en plein travail sur le tome deux de Siegfried. Depuis, j’accumule de la documentation, des design, du travail de recherche et je suis vraiment heureux que l’album arrive enfin (sourire).
Comment avez-vous signé chez Rue de Sèvres ?
Comme souvent, par le biais de rencontres. Nadia Gilbert, mon éditrice, et Louis Delas, patron de Rue de Sèvres, ont bien accroché au projet et à tout ce que j’avais envie de faire autour, notamment la parution du Château des Étoilessous forme de gazette. C’est une idée qui avait été lancée, par Nadia justement, sur certains albums de Tardi. Mon envie de faire de la bande dessinée tout public, chose qui à mon avis devient aujourd’hui de plus en plus rare, et le fait que Rue de Sèvres soit adossé à l’École des Loisirs a également joué en faveur de cet éditeur. Mais attention, cette bande dessinée n’est pas exclusivement destinée aux enfants, elle est aussi pour les enfants, nuance…
Si on vous dit que Le Château des Étoiles évoque Miyazaki et Jules Verne, qu’en pensez-vous ?
Oui, je pense que ce sont deux références intéressantes. On est là aussi chez des auteurs qui touchent des « enfants de tout âge » (sourire). Le sujet du Château des Étoiles est la conquête de l’espace au 19e siècle financée par Louis II de Bavière. L’envie de raconter cette histoire me vient de la lecture de De la Terre à La Lune et d’Autour de la Lune avec l’envie que l’exploration de l’espace en costume trois pièces et haut de forme continue. J’ai aussi des souvenirs des incroyables châteaux fantasmagoriques de Bavière que j’ai visités quand j’étais enfant. Cet album est une espèce de pont entre ce que j’aime aujourd’hui et ce qui m’a marqué dans mon plus jeune âge.
Imaginer cette histoire sur un fond historique authentique, c’était quelque chose d’essentiel ?
Oui. Je n’avais pas envie de partir dans un univers complètement déconnecté de la réalité ou dans une uchronie où l’univers est d’emblée différent du notre. Je voulais que mon histoire puisse être lue comme un Jules Verne. Dans la plupart de ses romans, le lecteur se trouve dans l’époque où il écrit, puis une invention extraordinaire va lancer une grande aventure qui peut potentiellement changer la face du monde. Pour y croire moi-même, il fallait que tout soit très ancré historiquement et que les événements de « mon » histoire viennent changer les choses. Je pars du principe que pour que les lecteurs y croient, il faut que j’y croie aussi le plus possible. Ainsi, mise à part l’extraordinaire invention totalement imaginaire qui va permettre la conquête de l’espace au 19e siècle, je voulais que tous les autres éléments soient totalement crédibles.
Les théories sur l’éther présentées par Claire Dulac sont-elles également authentiques ?
Jusqu’à la théorie de la relativité d’Einstein, l’idée était de dire que la lumière est une onde qui ne se propage pas dans le vide mais dans une substance difficilement qualifiable, qui est donc l’éther. C’est une hypothèse qui est selon moi très crédible pour l’époque. Mes personnages vont s’engouffrer dans ce mystère. Cela fait partie de la magie du sujet… À cette époque, on connaît beaucoup moins de choses sur ce qui se passe au-delà de l’atmosphère. Cette inconnue crée des écrits incroyables que ce soit ceux de Jules Verne sur la lune, ou des astronomes de l’époque sur les autres mondes possibles.
Que vous apporté la parution du Château des Étoiles en fascicules par rapport à un tirage classique en album ?
Plein de choses. Déjà, c’est une contrainte narrative intéressante. Il faut avoir un récit qui se tient, donner suffisamment sur la vingtaine de pages que comporte chaque épisode, pour que le lecteur soit satisfait. Il faut que ce soit drôle, que ça avance, qu’il y ait de l’émotion, de l’action… Le récit est donc plus rythmé que sur un album classique. Je voulais également retrouver l’aspect feuilleton qui correspond au feuilleton littéraire du 19e siècle. Le fait de présenter les planches en grand format, qui est à peu près ma taille d’exécution, est aussi un plaisir. Un autre plaisir est celui de retrouver et de se servir du papier. J’aime le livre et c’est un bonheur des enfants prendre du papier entre leurs mains. Voir ainsi plusieurs générations se retrouver autour de l’ « objet-papier », c’est formidable.
Pensez-vous que les acheteurs de ces fascicules vont également acheter la version cartonnée ? Existera-t-il des différences entre ces deux versions, à part le format ?
Oui, le format journal est plus complet (sourire) ! Le journal est destiné à ceux qui veulent un grand format pour pas cher, avec un contenu additionnel sur l’univers. C’est cette version « fascicule » qui contient des bonus sous forme d’articles, de mises en contexte. Tout cela ne sera pas repris dans la version cartonnée, même si la bande dessinée restera la même. On n’a donc pas besoin de la racheter. Pour ceux qui préfèrent avoir une version cartonnée sur beau papier, l’album classique au format 24x32 arrive en septembre. Et puis pour les gens comme moi qui aiment le grand format mais veulent quand même profiter de l’album bien relié, nous allons proposer, en même temps que l’album classique, une version grand format avec un cahier de croquis qui explore les coulisses de la création.
La mise en situation de la version papier passe par un résumé au début de chaque nouveau fascicule mais aussi par une partie rédactionnelle signée Alex Nikolavitch. Comment est-il arrivé sur ce projet ?
Avec Alex Nikolavitch, on est amis de longue date. Avec cette idée de journal, il y avait aussi l’idée de faire vivre l’univers autour du récit avec du rédactionnel issu de l’époque. J’ai tout de suite pensé à Alex. Déjà, il est scénariste donc il sait raconter des histoires. Ensuite, il est traducteur donc il est habitué à se fondre dans un ton, un niveau de langage avec des tournures spécifiques à une époque donnée. Et surtout, il est extrêmement cultivé. C’était donc la personne idéale pour faire ça. C’est chaque fois un plaisir de recevoir ses textes.
C’est votre premier album en couleur directe, une technique que vous souhaitiez essayer depuis longtemps ?
Je tourne autour depuis longtemps. En dehors de la bande dessinée, je peins, je fais de l’illustration… Cette technique fait donc partie des outils qui sont à ma disposition depuis pas mal de temps. J’ai longtemps hésité à l’utiliser en bande dessinée car je trouvais que l’encrage était vraiment important mais aussi un exercice formidable. Pour Le Château des Étoiles, je souhaitais donner un ton différent de ce que j’ai fait avant, quelque chose de plus merveilleux avec plus d’atmosphère, quelque chose de plus subtil et de plus léger. Je me suis donc orienté vers la couleur directe. Cela a pris du temps, j’ai fait pas mal d’essais. L’impératif absolu était de garder une lisibilité totale. C’est parfois le problème de cette technique : il faut savoir tirer parti de ses avantages, notamment sur les ambiances et la subtilité des couleurs, sans tomber dans un côté illustratif trop réaliste en figeant l’image et en donnant l’impression de lire un roman-photo. Il y avait cette tentation d’aller vers ce style d’images trop léchées mais pour Le Château des Étoiles, ça aurait été vraiment une erreur. Je savais que je m’en sortirais sans problème sur les scènes de paysage et d’atmosphère. J’ai donc travaillé en priorité sur les scènes d’action pour être absolument certain d’avoir un résultat dynamique.
Certains reprochent au personnage de Hans d’être trop cartoon par rapport à la physionomie des autres personnages…
(rires) Je ne suis pas surpris. J’ai déjà eu ce type de retour sur le personnage de Mime qui est en quelque sorte le père adoptif de Siegfried. C’est à ce moment-là que j’avais été surpris des retours des lecteurs car, pour moi, tout était parfaitement logique et cohérent. Quand j’ai réalisé Le Château des Étoiles, la création du personnage de Hans a fait partie des très bons moments. Je pense que ces réactions dépendent beaucoup des habitudes de lecture de chacun. J’ai toujours lu ou vu des œuvres qui mariaient deux ou plusieurs niveaux de stylisation différents dans la même case ou la même planche. Les exemples les plus marquants se trouvent dans l’animation japonaise. DansAlbator, par exemple, on a des filles plutôt réalistes et longilignes qui côtoient Toshirõ qui est clairement une référence pour Hans. On retrouve cela également dans Tanguy et Laverdure, Uderzo utilisait aussi beaucoup ce procédé. La bande dessinée est peut-être l’une des seules formes d’Art où l’on a le droit de faire ça. Peut-être aussi que certains lecteurs ont eu du mal à accepter le personnage de Hans en raison de son arrivée tardive dans le récit… Je serais également curieux de voir la réaction des enfants par rapport à ça, qui eux, ont une tendance naturelle à accepter des choix graphiques très variés. Cela me fait un peu penser aux différents niveaux de langage utilisés dans les dialogues de bande dessinée. Il m’arrive de prendre certaines libertés avec le Français mais je ne suis pas très adepte du langage parlé dans les bulles. Alors que certaines personnes trouvent au contraire cela plus vivant… Encore une fois, c’est une question d’habitude.
Quel a été le rôle D’Anthony Simon, crédité aux décors ?
L’un des défis graphiques de cette première partie du Château des Étoiles a été justement le château. Il y a eu un gros travail de construction de décors et de perspectives. C’est un travail que j’ai pas mal fait sur Le Troisième Testament et que beaucoup de dessinateurs choisissent aujourd’hui de réaliser sur ordinateur car une fois que l’on a fait une composition et placé les points de fuite, c’est un travail purement mathématique. Néanmoins, j’avais envie d’aller au-delà du travail que peut faire un ordinateur et faire en sorte que le décor soit beaucoup plus subjectif, que le modèle soit malléable. J’ai donc décidé de confier le travail à quelqu’un sachant que c’est tout de même moi qui compose, qui place les lignes principales, les points de fuite. À partir de là, Anthony réalise les constructions géométriques. C’est un dessinateur qui est en train de préparer sa première bande dessinée et qui est très bon mais ce que je lui demande pour Le Château des Étoiles est quelque chose de très mathématique. Il arrive régulièrement sur des perspectives que je place deux voire trois points de fuite pour les lignes parallèles, ce qui est contraire à la règle mais cela donne des perspectives plus vivantes et qui représentent mieux ce que l’on ressent quand on est face au château.
En combien de tomes est prévue la série ?
C’est une histoire en deux tomes que l’on sort sous deux formes : les journaux, trois cette année et trois l’année prochaine, et les albums, un cette année et un l’année prochaine. C’est un univers dans lequel il pourra se passer d’autres choses. Il y aura donc peut-être, et je l’espère, d’autres récits ayant pour cadre Le Château des Étoiles.
Une adaptation en film d’animation serait-elle envisageable ?
À votre avis ? (rires)