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Come prima

Entretien avec Alfred

BDGest Interview 28/02/2014 à 12:34 9856 visiteurs

Et dire que Come Prima aurait pu ne jamais exister... C'est dans une période de doutes et de remises en question qu'Alfred a esquissé les premiers contours de ce qu'allait devenir, quelques années plus tard, le fauve d'Or du 41ème festival de la bande dessinée à Angoulême. Même s'il se définit lui-même comme un sprinter, plutôt qu'un marathonien, l'auteur du Désespoir du Singe s'est posé quelques instants pour répondre à nos questions.


Quelle a été votre première idée pour Come Prima ? Celle de l’histoire de deux frères qui ne s’entendent plus ou l’évocation du contexte politique italien avec Mussolini et les chemises noires ?

La première intention de Come Prima, c’est de ne pas être un livre. (sourire) Il y a cinq ans, je suis retourné vivre en Italie. À ce moment-là, pour de multiples raisons, je me suis retrouvé comme dans un bocal au niveau dessin, incapable de dessiner pendant plusieurs mois. En guise de bouée de sauvetage, je me suis donc mis à écrire sans avoir l’impression de faire un livre, mais en remplissant des carnets de notes, de souvenirs, de rêves, de pensées… Une sorte de vide-poches ou de vide-tête. Je me suis alors rendu compte que certaines notes revenaient, d’autres se recoupaient, que certains fils se dessinaient et que je pouvais presque en tirer un pour en faire un bout de récit. Je parle alors beaucoup de mes frères, de l’Italie, de notre père… Et je réalise que j’ai des choses à leur dire, à me dire aussi. Là-dessus sont venus se greffer de nombreux souvenirs, dont Mussolini dont j’avais entendu parler. Je suis d’origine italienne et c’est une culture qui a toujours eu beaucoup de place dans mon éducation. Les premières références que j’ai de ma famille remontent aux années 30. Comme beaucoup de gens de leur âge à cette époque-là, mes grands-parents font comme ils le peuvent avec une situation politique qui est en train de diviser le pays. L’un de mes grands-pères va devenir chemise noire… Même si je n’ai évidemment pas connu ces années-là, ces histoires m’ont toujours habité. 


Cette histoire n’était donc pas destinée à être dessinée…


Pas du tout. Je n’envisageais pas une seconde d’écrire pour moi. J’essayais juste de ne pas me noyer en me raccrochant à autre chose. C’est Cyril Pedrosa qui m’a conseillé de beaucoup écrire. L’idée du livre est ensuite venue comme une évidence quand j’ai senti que des choses étaient en train de se tisser dans toutes mes notes. 


Comment la situation s’est-elle débloquée ? Qu’est-ce qui vous a permis de reprendre à nouveau le crayon dans les mains ?


C’est notamment grâce à une autre personne, Lorenzo Mattotti, qui m’a montré ses propres carnets qu’il avait réalisés chez lui dans son atelier. Il m’a dit : « Ce sont des carnets qui ne sont pas destinés à être publiés. Je dessine quand je le souhaite, j’arrête en cours de route quand j’en ai envie. Je ne cherche pas à être vu, jugé. » Je me suis rendu compte que je n’avais jamais travaillé comme ça. J’ai donc réappris à prendre du plaisir en dessinant. C’est revenu tout doucement, à force de prendre des notes dans mes carnets. J’ai rajouté au fur et à mesure des dessins jusqu’à ce que ces carnets arrêtent d’être écrits pour ne plus être que dessinés. Depuis cinq ans, je ne me suis plus arrêté. 


Comment avez-vous élaboré le scénario définitif ? Aviez-vous déjà un début et une fin en tête ?


J’avais écrit quelque chose de très précis pour me rassurer mais aussi pour convaincre les éditeurs. Mais au moment où je me suis mis à dessiner, je me suis rendu compte que je n’avais pas du tout envie de faire ce livre comme ça. Je voulais vraiment faire ce voyage avec mes personnages et découvrir leur parcours au fur et à mesure sans savoir à l’avance ce qui allait leur arriver. Au final cette « anti-méthode de travail » me ressemble beaucoup. 


Si l’on vous dit que Come Prima est un combat de boxe permanent entre deux frères avec attaques verbales, mises au tapis, contre-attaques… 

Il y a de la bagarre à plusieurs niveaux, oui. Encore une fois, je ne parle que de ce que je connais. (sourire) J’ai eu besoin de raconter ces choses car c’est comme ça que je les connais. Je n’aurais pas su en inventer une autre version. Chez moi, la fratrie, la famille, les rapports avec mon père, ne sont pas des choses qui se passent dans la légèreté et le compromis. Je viens d’un endroit où les quiproquos, les malentendus et les bagarres sont légions. 


La scène de l’orage qui accompagne l’accident, moment idéal où les confidences surgissent, est éloquente…


C’est exactement ça. C’est un passage qui s’est présenté un peu par hasard et que je n’avais pas prévu à l’avance. C’est un moment pendant lequel ils ne se voient pas trop, ils ont eu un choc et ont sans doute eu peur d’y passer. Du coup, c’est le bon moment pour se dire deux-trois choses qu’ils n’ont pas pu se dire avant. 


Quel a été l’apport du format "roman graphique" ?


Je n’avais pas décidé dès le début d’être dans ce format-là. Mais très vite, je me suis rendu compte que j’allais avoir besoin, pour improviser des choses, de ne pas être tenu par une pagination stricte. Il me fallait une collection qui me permette de rajouter douze pages à un endroit ou à un autre. Cette collection (Mirages, NDLR) permet cela. À un certain moment, je n’ai plus su du tout où j’allais avec ce livre. Je l’ai découvert en même temps que je le faisais. J’ai parfois laissé des choses que je n’ai pas conservées, environ une soixantaine de pages que j’ai dessinées puis retirées du livre. J’ai ressenti le besoin de les dessiner, mais je n’ai pas trouvé nécessaire de les conserver. Je voulais m’autoriser des scènes de silence, de contemplation, une double page avec des nuages. Ces passages étaient très importants pour moi, ils me permettaient également de reprendre mon souffle. Cette méthode de travail que je me suis assignée, le travail au jour le jour sans trame particulière, était grisante mais aussi épuisante. J’avais ainsi besoin parfois de me reposer quelques minutes, de me resituer, laisser mon personnage regarder les nuages et les compter. Mais aussi laisser le lecteur faire ce qu’il veut avec ça, compter lui-aussi les nuages, tourner la page en une seconde, s’y arrêter une heure… J’avais besoin de beaucoup de liberté, je voulais que le lecteur en ait aussi.


Recherches couvertures

L’hommage au cinéma italien tragi-comique des années 50-60 est flagrante. Quels sont les films qui vous ont inspiré ?

Ce qui m’a surtout inspiré dans le cinéma italien de ces années-là, c’est un état d’esprit. S’il fallait que je choisisse un film, ce serait certainement Le Fanfaron, avec Vittorio Gassman. Pour moi, ce sont des films dans lesquels les réalisateurs et les comédiens étaient capables d’à la fois faire rire et pleurer d’une scène à l’autre, plaisanter sur des sujets graves comme le fascisme et prendre très au sérieux des futilités, de bricoler des films avec peu de moyens mais énormément de générosité. J’ai un peu l’impression de faire ça quand je fais de la bande dessinée. Je ne suis pas un très bon technicien et j’aime bien bricoler des trucs, même si parfois c’est raté. Le cinéma italien de cette époque, ce sont des photographies merveilleuses de ce qu’étaient ces gens, cette culture. Il y a une sincérité énorme qui m’émeut. C’est en ayant ça en tête que j’ai eu envie de faire ce livre. Il y a un autre film, qui n’est pourtant pas de cette période, mais pour lequel je suis admiratif, c’est Une Journée Particulière d’Ettore Scola. Dans Come Prima, il y a une scène qui rend hommage à ce film, celle dans laquelle Marcelo Mastroianni et Sophia Loren se parlent sans se voir derrière des draps. 


L’utilisation de deux styles de dessin différents pour évoquer les deux époques a-t-il été dès le départ une évidence ? 


Oui. J’avais besoin dès le départ de faire référence à des histoires de gamins et de les mettre en contexte pour pouvoir parler de moi, notamment les histoires mussoliniennes que j’entendais quand j’étais jeune, de pouvoir m’identifier comme si je faisais moi-même le voyage avec un de mes frangins. J’avais besoin de joindre ces deux temps. C’est d’ailleurs la seule chose que j’ai conservée de mon scénario quand je suis un peu parti à l’aveugle au moment de l’écriture. Je savais qu’il y aurait deux temps graphiques qui évoqueraient deux moments différents, l’un les souvenirs, l’autre le récit lui-même. Je voulais dessiner ces souvenirs plus en impression, une chevelure plutôt qu’un visage, plus qu’en précision. 


Il y a dans ces moments un trait très épuré et stylisé, avec également une absence de son…


C’est vrai. Je voulais beaucoup jouer sur les émotions. D’ailleurs, on ne sait pas vraiment à qui appartiennent ces souvenirs, si c’est à un frère ou à l’autre. Sans doute l’un et l’autre… Je voulais que ça reste flou pour que chacun en fasse ce qu’il veut. 



Case non retenue

Quelle a été la contribution de Maxime Derouen ?

C’est un camarade avec qui je partage un atelier. Il m’a aidé techniquement à faire des sélections de couleurs, à un moment où j’étais en retard. (rires) C’était un pur coup de main amical mais j’ai tenu à le remercier. 


Pourquoi n’avez-vous jamais scénarisé de série ?


Ça m’est difficile. La seule série que j’ai réalisée est Le Désespoir du Singe, en trois tomes. Mais je me suis rendu compte que je n’étais pas taillé pour. Pour moi, faire un bouquin c’est un moment de ma vie. J’ai un mal fou à morceler ça. Je suis plus un sprinter qu’un marathonien. Je n’arrive pas à me replonger dans mes émotions pour construire une histoire. Je préfère me faire du mal pendant trois ans de ma vie pour sortir un bouquin de cent trente pages. 


Quelques mots sur le nouveau Donjon… 


J’en avais discuté avec Lewis Trondheim avec lequel je partage l’Atelier Mastodonte chez Spirou. On en avait déjà parlé il y a quelques années et il avait mis mon nom sur la liste des auteurs susceptibles de participer à l’aventure. Puis le temps a passé… Il m’a un jour envoyé un mail en me disant que si j’étais partant, c’était possible. Ça a été une super expérience. Ce que j’ai découvert en le réalisant, c’est la richesse de la grammaire graphique créée par Lewis et Joann Sfar. C’est très codifié, mais en même temps, ça laisse une liberté énorme à qui veut se lancer là-dedans. Tout peut être interprété. C’est une vraie boîte à jouets dans laquelle tout le monde peut venir s’amuser. C’est un livre qui m’aura pris cinq mois à dessiner. 


Une collaboration avec David Chauvel est aussi en cours…


Oui, c’est un livre qu’on a commencé il y a un an et il y aura, je pense, encore un an de travail. C’est une sorte de documentaire en bande dessinée, un making of de la réalisation du nouvel album d’Etienne Daho depuis le début de son écriture, jusqu’à la fin de la tournée. Le but est de couvrir la vie d’un disque, de sa naissance jusqu’au moment où on éteint la lumière. On remplit pour l’heure des carnets de croquis que l’on commence seulement à mettre au propre.


En quoi consiste l’exposition prévue par le festival Regard9 à Bordeaux au mois de mai ?


C’est une manifestation qui a désormais deux ans et chaque année, une carte blanche est donnée à un auteur pour investir un lieu d’exposition à Bordeaux. J’ai souhaité faire quelque chose de spécial pour cet événement, en choisissant le thème de l’Italie, autour de trois lieux en particulier : Venise, dans laquelle j’ai vécu, Cinque Terre du côté de Gênes d’où je viens et Naples qui est sans doute la ville qui m’a le plus frappé. Il y a quinze jours de manifestation pendant lesquels il y aura des spectacles, des concerts, des performances dessinées avec des auteurs comme David Prudhomme, Manuele Fior, Christian Cailleaux, Jean-Philippe Peyraud, Richard Guerineau... Il y aura également des peintres, des comédiens… 

Propos recueillis par Laurent Cirade et Laurent Gianati



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Information sur l'album

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